vendredi 29 octobre 2010

Ma cousine Rachel, de Daphné du Maurier.


Daphné du Maurier, dont il était question ici l'autre jour, est une romancière surtout connue pour son roman Rebecca, qui fut adapté par Alfred Hitchcock en 1939, avec Joan Fontaine et Laurence Olivier dans les rôles principaux. Quand on y regarde de plus près, on constate que beaucoup de livres de la romancière furent finalement adaptés par le Maître du Suspense... Ma cousine Rachel échappe cependant à la règle.



L'histoire est celle de Philip, un jeune garçon élevé en Cornouailles par son oncle Ambroise, qui a des idées bien arrêtées sur l'éducation et l'élève en l'absence de toute présence féminine - il est célibataire et vieux garçon, et aucune femme ne fait partie de la domesticité - dans l'amour de ce qui est juste et de ce qui est bien. C'est pourquoi au début du roman - saisissante scène inaugurale - alors que le jeune Philip n'a que 7 ans, il l'emmène voir le corps d'un supplicié qui a tué sa femme, afin de lui rappeler quels sont les choix moraux qui s'offrent à lui en cette vie.

Philip est donc élevé pour devenir un second Ambroise, et les deux hommes, malgré la différence de génération, vivent de manière fusionnelle. Malheureusement, l'oncle Ambroise, l'âge venant, souffre de rhumatismes : qu'à cela ne tienne, il ira passer les hivers en Italie pour préserver sa santé, et Philip restera dans leur domaine de Cornouailles pour veiller au grain. Et puis, Ambroise, passionné de botanique, en profitera pour rapporter des espèces rares afin qu'elles puissent être replantées dans le parc...

C'est au cours d'un de ces voyages hivernaux qu'Ambroise sera amené à rencontrer sa cousine, Rachel, une jeune veuve qui vient de perdre son mari. Contre toute attente, ce vieux misogyne en tombe amoureux, et Philip, resté en Cornouailles, sans la connaître, la déteste, parce que d'une certaine manière, elle lui vole l'affection de son oncle ; aussi quand Ambroise lui écrira qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner, Philip le croira d'emblée.

Il se rend alors en Italie, où il apprend la mort d'Ambroise ; l'épouse de ce dernier, Rachel, à qui son Ambroise n'a rien légué, a disparu, et Philip jure de venger son oncle. De retour en Cornouailles, il apprend l'arrivée de Rachel et son souhait de le rencontrer ; il la reçoit alors dans son domaine, et force est de constater que Rachel n'a rien de la femme qu'il avait imaginée :

Ma première impression fut presque de stupéfaction à la trouver si petite. Elle m'arrivait à peine à l'épaule. [...] Elle était vêtue d'un noir mat qui retirait toute couleur à son visage, et il y avait de la dentelle à son cou et à ses poignets. Ses cheveux étaient bruns, partagés par une raie au milieu et noués en chignon sur la nuque, ses traits étaient nets et réguliers. La seule chose qu'elle eût de grand, c'était les yeux qui, à ma vue, s'élargirent avec un regard qui semblait soudain me reconnaître, surpris comme les yeux d'une biche, puis passèrent de là à la stupéfaction et de la stupéfaction au chagrin et presque à la terreur. Je vis le sang affluer à son visage puis s'en retirer. Je pense que je lui causais un choc égal à celui qu'elle avait provoqué en moi. Il eût été difficile de dire lequel de nous était le plus agité, le moins à l'aise.

Le choc de la jeune femme s'explique par le fait que Philip ressemble comme deux gouttes d'eau à Ambroise, mais en plus jeune...

Rapidement, Philip et Rachel sympathisent, et celle-ci finit par s'installer à demeure, ce qui nous vaut quelques belles scènes assez austeniennes dans leur esprit quand le pasteur des environs, sa femme et leurs filles viennent faire leur visite dominicale, ou quand Seecombe, le majordome, astique l'argenterie pour rendre les honneurs dus à la belle visiteuse - car il y a de l'humour dans ce roman, ce qui est suffisamment rare chez Daphné du Maurier pour être noté.

Philip ne tarde pas à s'éprendre de Rachel, lui qui était promis à Louise, la fille de son parrain - et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c'est sans compter sur l'esprit retors de l'auteur, qui nous réserve une surprise à sa façon...

Très anglais dans l'esprit, ce roman nous plonge dans les méandres de l'âme humaine et ravira tous ceux qui apprécient le don de la romancière pour le suspense psychologique.



Détail amusant, ce roman a été adapté en 1952 avec Olivia de Havilland, la soeur de Joan Fontaine, dans le rôle titre.

mercredi 27 octobre 2010

Challenge Ecole des Loisirs

Je clos de nouveau un challenge organisé sur Whoopsy Daisy par Emjy. Ce défi consistait à lire cinq titres édités par cette maison d'édition, qui propose depuis de nombreuses années des livres de qualité pour les enfants et la jeunesse.



Le principe était simple : lire 5 romans de l'Ecole des Loisirs. Seuls ceux de la collection Medium et Neuf étaient acceptés. Les Neuf étant plus courts, il fallait se limiter à deux.

Les 3 combinaisons possibles étaient donc les suivantes :

- 5 romans Médium
- 4 romans Médium et 1 Neuf
- 3 romans Médium et 2 Neuf

Il y avait une autre condition : parmi ces 5 romans, nous ne pouvions en choisir que 2 du même auteur

Naturellement, j'ai joué les mauvais élèves et n'ai pas du tout respecté les règles du jeu. Du coup, ma liste donnait à peu près ceci :

- Malika Ferdjoukh - Trouville Palace (Medium)
- Susie Morgenstern - Lettres d'amour de 0 à 10 (Medium)
- Malika Ferdjoukh - Aggie change de vie (Medium)
- Norma Huidobro - Une soupe de diamants (Medium)
- Lois Lowry - Les Willoughby (Medium)
- Malika Ferdjoukh - Taille 42 (Neuf)

Cherchez l'erreur. ^^

Et si je les place maintenant par ordre de préférence, cela nous donne...

1. Taille 42, de Malika Ferdjoukh, un très beau témoignage sur une famille juive pendant l'occupation :



2. Trouville Palace, de Malika Ferdjoukh, une nouvelle fantastique au charme certain :



3. Aggie change de vie, de Malika Ferdjoukh, où l'histoire d'une jeune fille qui réussit à se trouver une nouvelle famille :



4. Lettres d'amour de 0 à 10, de Susie Morgenstern, l'histoire d'un jeune garçon pas comme les autres :



5. Une soupe de diamants, de Norma Huidobro, un symathique polar argentin :



6. Les Willoughby, de Lois Lowry, un roman anglais peu concluant :



le véritable coup de coeur ayant porté sur Taille 42, qui peut aussi bien se lire par un adolescent que par un adulte.

De toute façon, depuis que je suis amenée à lire des ouvrages de l'Ecole des Loisirs, deux auteurs ont retenu mon attention : Marie-Aude Murail et Malika Ferdjoukh. Je me permets donc de recommander chaleureusement leurs ouvrages, car leurs talents respectifs ne peuvent que charmer le lecteur, petit ou grand.

De Marie-Aude Murail, j'apprécie tout particulièrement Simple, un ouvrage fin et sensible sur le handicap :

... et Miss Charity, un roman qui s'inspire de la vie de Beatrix Potter :



De Malika Ferdjoukh, outre Taille 42, j'apprécie aussi les Quatre Soeurs, qui se dévore d'une traite, et où l'auteur fait preuve d'une virtusosité verbale époustouflante :



En dehors de l'Ecole des Loisirs, je recommande aussi la saga des Harry Potter de J.K. Rowling, et dont la réputation n'est pas usurpée.

Et sinon, paru tout récemment, ce dictionnaire préfacé par Quentin Blake, l'illustrateur des livres de Roald Dahl en France, qui recense les 1001 livres d'enfants qu'il faut avoir lus pour grandir (tout simplement génialissime, car il permet de replonger dans l'enfance et de choisir des livres adaptés à l'âge de chacun ):


Marie-Aude Murail, Malika Ferdjoukh et J.K. Rowling y figurent d'ailleurs en bonne place ! ;)

Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier.

« Il mourut un dimanche matin, le 24 septembre 1848. Il avait trente et un ans. Il s’éteignit dans la chambre qu’il avait si longtemps partagée avec son père et où, enfant, s’éveillant dans la nuit, il voyait briller la lune à travers les fenêtres dépourvues de rideaux tandis que son père, à genoux, priait. Cette chambre, depuis de trop nombreux mois, était à la fois pour lui un refuge et une prison. »

Si la littérature consacrée à Charlotte, Emily et Anne Brontë abonde, si les romans de ces dernières, Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent et La Dame du château de Wildfell sont à juste titre considérés comme des œuvres majeures de la littérature mondiale, l’histoire a négligé l’importance de leur frère Patrick Branwell Brontë (1817-1848) dans leur processus de création.

Romancière anglaise universellement célébrée pour les chefs-d’œuvre de littérature romanesque que sont Rebecca et L’Auberge de la Jamaïque, Daphné Du Maurier (1907-1989) a voulu rendre hommage à ce frère tout aussi génial que maudit et à l’importance de son étroite collaboration avec les trois intéressées. Écrit en 1960, Le Monde infernal de Branwell Brontë évoque ainsi « l’enfer intérieur » que vécut le grand oublié de cette famille illustre. Tandis que Charlotte, Emily et Anne, portées par leur extraordinaire talent, se sont progressivement engagées sur la voie de la création, Branwell a cessé de cultiver sa fantastique fécondité littéraire et a sombré dans une inexorable autodestruction. « S’il apporte un nouvel éclairage sur un être si longtemps diffamé, négligé, méprisé même, et lui redonne la place qu’il mérite dans cette famille Brontë dont il fut, jusqu’aux années de complète déchéance, un membre tant aimé, ce livre n’aura pas été écrit en vain. »


Quand on découvre l'oeuvre d'une des soeurs Brontë, on a forcément envie de découvrir les autres oeuvres de cette fratrie, et voilà que sans y prendre garde, nous nous retrouvons happés par le destin de cette famille tout entière, avec l'irrésistible besoin d'en savoir plus sur chacun des membres qui la composent, l'irrépréssible envie de comprendre, surtout, quels mécanismes de création ont été mis en oeuvre pour aboutir à une oeuvre aussi forte, singulière et originale.

Après ma découverte de Jane Eyre de Charlotte Brontë il y a fort longtemps, j'ai enchaîné avec la lecture des Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, avant de m'initier aux oeuvres mineures des trois soeurs, puis de lire leurs écrits de jeunesse publiés par les éditions Bouquin.

Il y a quelques années, j'ai même poussé le vice jusqu'à lire la biographie qui fait référence, celle rédigée par Elizabeth Gaskell, un auteur ayant vécu à la même époque que Charlotte Brontë et ayant eu la chance de la côtoyer. Si mon avis - plutôt mitigé, je dois dire - sur cette biographie vous intéresse, vous pouvez le lire ici :

http://whoopsy-daisy.forumactif.net/jane-eyre-dans-tous-ses-etats-f49/la-vie-de-charlotte-bronte-par-elizabeth-gaskell-t1172.htm

Voilà où j'en étais, jusqu'à ce que la semaine dernière, je me décide à lire Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier.

J'aurais l'occasion de reparler de cet auteur dans un prochain billet, donc je n'en dis pas trop ; sachez simplement, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, qu'il s'agit d'un écrivain britannique réputé dans les années 1950 pour ses romans, dont certains s'inspirent de l'atmosphère qui baigne les romans victoriens - ainsi, Rebecca n'est jamais rien d'autre qu'une réécriture très réussie de Jane Eyre. Notons aussi au passage que beaucoup des oeuvres de Daphné du Maurier (dont c'est le vrai nom, et non un pseudonyme - eh oui ;)) ont été adaptées au cinéma par Alfred Hitchcock, avec plus ou moins de bonheur.

Donc, Daphné du Maurier est l'auteur de ce livre sur Branwell Brontë et sa famille. Cela va m'être un peu difficile d'en parler, étant donné que je ne l'ai pas sous la main (une valise a une contenance limitée, et je privilégie les livres que je n'ai pas lus lorsque je dois choisir ceux que je mets dedans), mais voilà : moi qui ai horreur des biographies d'écrivain, j'ai tout bonnement été enchantée par celle-ci.

Pourquoi ? Parce que l'auteur est manifestement passionné par son sujet, et que cela se manifeste dans son écriture ; pour s'en convaincre, il suffit de lire le premier chapitre, où l'on trouve une description saisissante de ce que Branwell dut vivre et ressentir sur son lit de mort.

Branwell était le seul garçon de la famille ; orphelin de mère, ayant perdu ses deux soeurs aînées, sa famille attendait beaucoup de lui et il fut sans doute trop gâté. C'est ce qui explique en partie que ses talents, bien réels - il est sans doute celui qui poussa ses soeurs à l'écriture en inventant avec elles un monde irréel, d'où le titre du livre - furent gâchés, le conduisant à la déchéance (dépression, consommation d'alcool, d'opium et de laudanum) et à la mort. A cela s'ajoute d'autres circonstances et facteurs - une épilepsie probable, une absence de sociabilisation par l'école, une absence de rigueur, une difficulté à s'insérer socialement, et son aventure (supposée, ou réelle) avec la mère - mariée - des élèves dont il fut le précepteur.


Un portrait des trois soeurs Brontë par Branwell... qui s’est ensuite effacé volontairement de la toile.

Daphné du Maurier procède par reconstitution - et par imagination. Elle avance des hypothèses quand certaines données sont manquantes - et tranche, de manière souvent très subjective, faisant de Branwell Brontë un être qui ne réussit jamais vraiment à sortir de son monde imaginaire, malheureux de n'avoir pas réussi à devenir quelqu'un, jaloux de ses soeurs, qui lui cachèrent, pour le ménager, le fait qu'elles avaient réussi à publier leurs romans, le jeune homme finissant par s'enfermer dans le mensonge - avec beaucoup d'audace, Daphné du Maurier remet en question la version forgée par Branwell lui-même, selon laquelle il aurait eu une aventure avec Madame Robinson, la mère de ses élèves, pour expliquer son renvoi. Elle critique aussi son oeuvre, jugeant certains de ses poèmes brillants, d'autres absolument mauvais ; admire sa grandeur, stigmatise ses faiblesses. A la fois analyse critique et roman d'imagination, ce livre nous plonge en effet au plus près de l'univers de la famille Brontë en citant de nombreux extraits de la correspondance de chaque membre de la famille, ainsi que leurs poèmes et leurs écrits de jeunesse.

On peut ne pas être d'accord avec les conclusions qu'elle tire des faits et des écrits qu'elle rapporte - et ce fut souvent mon cas au cours de cette lecture, mais incontestablement, Daphné du Maurier a rédigé là un essai personnel, original et brillant, qui saura séduire tous les inconditionnels de cet écrivain et du sujet qu'elle traite. Quant à savoir si Branwell fut à l'origine des personnages de Rochester et de Heathcliff, je ne serais pas aussi catégorique que certains commentateurs sur la question, même s'il est probable que les trois soeurs se sont inspirées des figures masculines qu'elles côtoyaient - leur père, Branwell, et, dans le cas de Charlotte, Constantin Heger, en faisant fonctionner leur imagination, à la manière de la nacre que secrète l'huître autour de la poussière qui se trouve à l'intérieur de sa coquille.

mercredi 20 octobre 2010

Chez Maupassant.


Pour une fois qu'une chaîne de télévision française rend hommage à l'un des plus grands noms de la littérature, et ce depuis quelques années grâce à la série Chez Maupassant, cela valait la peine de s'y arrêter :



Dans ce dvd qui regroupe la saison 1, et qui bénéficie d'une très jolie jaquette, Cécile de France joue dans La Parure :



Elle incarne Mathilde Loisel, l'héroïne de la nouvelle, qui, invitée à un bal, emprunte une rivière de diamants à son amie.



La perte de ce bijou causera son malheur :



C'est Chabrol qui est à la barre, ce qui nous vaut quelques très belles scènes, qui ne sont pas sans évoquer Madame Bovary, du même réalisateur.

Malheureusement, même si j'aime beaucoup Cécile de France, je pense que ce choix de casting ne s'avère pas forcément judicieux, celle-ci étant beaucoup plus crédible dans des films où l'action se déroule à notre époque. Sa vivacité et son énergie naturelle rendent très peu vraisemblables le vieillissement et la déchéance physique de son personnage.

Les adaptations des nouvelles de Maupassant sont cependant toutes d'un très bon niveau, témoin Hautot père et fils, qui met en scène un gentilhomme normand dont le goût pour la chasse causera la perte. Sur son lit de mort, il révèle à son fils un secret qui bouleversera son existence. Les deux personnages principaux sont joués par Jean Rochefort et son fils.



L'habileté de ces adaptations, c'est qu'elles mettent en scène des acteurs connus, et d'autres qui le sont moins ; tous sont excellents, comme dans L'Héritage, qui révèle un Eddy Mitchell inattendu et extrêmement talentueux :



Ces adaptations révèlent un Maupassant tour à tour drôle, cynique ou féroce pour dénoncer les exactions commises durant la guerre franco-prussienne de 1870 dans Deux amis, où Philippe Torreton et Bruno Putzulu sont tout simplement brillants :





Un Maupassant plus inattendu et plus romantique apparaît au détour de Miss Harriet, une nouvelle qui met en scène un jeune peintre et une vieille fille anglaise qui logent chez l'habitant au bord de la mer, tous deux grands amoureux de la nature :



Poignante, Une fille de ferme met en scène une jeune paysanne victime des hommes, mais qui saura, à force de détermination, se créer une place au sein de la société :



Dans cette nouvelle, Maupassant m'a paru beaucoup moins misogyne que ce que je pensais.



Cette nouvelle se situe dans le droit fil de la dénonciation de la condition faite aux femmes dans Une Vie.

Enfin, dans un registre plus cocasse, Toine met en scène un paysan devenu infirme que sa femme oblige à couver des oeufs pour rapporter de l'argent au ménage :





Il me reste encore une ou deux nouvelles à regarder, mais je ne regrette absolument pas l'achat de ce dvd, et j'espère que nous verrons fleurir d'autres projets de ce genre sur le petit écran. En plus, ça m'a redonné envie de lire des nouvelles de Maupassant, car je me suis rendue compte que je ne connaissais pas cet auteur si bien que ça.

mardi 19 octobre 2010

"Challenge Classiques Anglophones"

Toutes les bonnes choses ont une fin, et je crois qu'il est temps de clôturer l'un des nombreux challenges auxquels je me suis incrite, histoire de passer à autre chose.

Le but de ce challenge consistait à lire des romans écrits avant 1950 par des auteurs de langue anglaise ; le principe en était simple : lire 5 romans au moins avant la fin de l'année 2010, et poster mon avis - ici et sur Whoopsy Daisy.



J'ai en ai finalement lu dix, que j'ai tous chroniqués ici - sauf Monteriano d'E.M.Forster, qui m'a tant ennuyée que je n'ai pas jugé utile de faire de même avec mes propres lecteurs.

Voici donc mon classement final, qui ne tient pas forcément compte de la qualité littéraire des ouvrages cités, mais du plaisir que j'ai pris à les lire :

1. La Foire aux Vanités, de Thackeray ;
2. Evelina, de Fanny Burney ;
3. Mrs Palfrey, Hôtel Claremont, d'Elizabeth Taylor ;
4. Les Boucanières, d'Edith Wharton ;
5. Chez les heureux du monde, d'Edith Wharton ;
6. Tendre est la nuit, de F.S. Fitzgerald ;
7. Cranford, d'Elizabeth Gaskell ;
8. Les Forestiers, de Thomas Hardy ;
9. La Route des Indes, d'E.M. Forster ;
10. Monteriano, d'E.M. Forster.

D'autres challenges sont plus ou moins finis (challenge "Ecole des Loisirs"), en cours (challenge "Three Christie for Christmas"), ou à venir (challenge "Dames de Lettres" et "Romans Vintage"). Si vous souhaitez en savoir plus, n'hésitez-pas : cliquez sur les icônes correspondantes à gauche.

mercredi 13 octobre 2010

Quo Vadis, d'Henryk Sienkiewicz et Mervyn LeRoy.


Henryk Sienkiewicz est un auteur polonais qui vécut au XIXème siècle et s'illustra dans le genre historique. Son roman le plus connu, Quo vadis ("Où vas-tu ?" en latin) lui valut le Prix Nobel de littérature en 1905.



Rome, 64 ap. J.-C. Vinicius est amoureux ! La belle Lygie a conquis son cœur. Mais celle-ci est chrétienne ! Comme tous les adeptes de sa religion, elle doit vivre dans les Catacombes... et subir les persécutions de l'Empereur Néron ! Lygie doit mourir ! Pour la sauver, le jeune patricien osera-t-il affronter la colère des Romains ?

J'ai redécouvert récemment ce roman dans une version abrégée, alors que plus jeune je l'avais lu dans son intégralité : j'en avais gardé un excellent souvenir, et j'avais un peu peur qu'une relecture adulte ne ternisse ce sentiment. Même si certains aspects du livre - l'intrigue sentimentale et le côté militant de l'auteur, un catholique polonais convaincu - m'ont parfois fait sourire, je me suis laissée prendre au charme de ce roman historique qui met en scène l'Antiquité avec brio et réussi à nous la rendre particulièrement vivante. Henryk Sienkiewicz n'a rien à renier à Dumas, et sa description d'une Rome qui amorce sa décadence est tout bonnement bluffante. Néron, Poppée, Pétrone, Tigelin, tous les personnages décrits par Tacite apparaissent sous nos yeux, criants de vérité, et les apôtres Pierre et Paul nous sont dépeints comme des géants à leur mesure. Le mode de vie des Romains, la description de la vie à la cour, l'incendie de Rome, et les Chrétiens livrés aux lions pour assouvir le mécontentement du peuple qui les considère comme à l'origine de l'incendie constituent des scènes d'anthologie au milieu d'une intrigue riche en rebondissements.



L'adaptation cinématographique qui date de 1951, se trouvait en haut de ma pile de dvds à voir : j'ai pris le temps de voir le film ce week-end, et wow ! Ce peplum est tout bonnement époustouflant ! Depuis plusieurs années, je m'intéresse de près à ce genre cinématographique très particulier, méprisé par la critique, adulé par le public. Quo vadis, sans atteindre au chef d'oeuvre, est sans doute l'un des meilleurs que j'aie jamais vus. Cette oeuvre colle au plus près de l'oeuvre d'Henry Sienkiewicz en s'autorisant quelques libertés bienvenues : avec un scénario de départ aussi génial, le film partait sur de bonnes bases.



Robert Taylor incarne à merveille le soldat romain violent et brutal, et Déborah Kerr, qui joue le rôle difficile de la jeune chrétienne, parvient à lui donner beaucoup de présence ; leur couple semble plus crédible à l'écran que dans le livre, et les tourments de l'un et de l'autre nous les rendent attachants - les deux personnages vivent symbolisent en effet le conflit entre les valeurs païennes et les valeurs chrétiennes, Vinicius ayant du mal à renoncer aux premières pour adopter les secondes, et Lygie peinant à concilier son amour et sa foi, alors qu'elle est très attirée par Vinicius.

Mais le film n'aurait que peu d'intérêt sans la présence de personnages secondaires qui sont au moins aussi importants que les personnages principaux, comme :

- Pétrone, joué par Leo Genn, qui incarne "l'arbitre des élégances", homme de cour brillant qui aime à jouer avec le feu avec Néron, ne se privant pas de l'abreuver de sarcasmes tout en maniant habilement la flatterie.

Ce personnage incarne ce que l'Empire romain a produit de meilleur, un goût éclairé pour la politique et les arts malheureusement contrebalancé par une paresse rare.



- la serpentine et venimeuse Poppée, jouée par Patricia Laffan, qui manipule Néron et les hommes à sa guise, tout en faisant preuve d'une cruauté extrême ;

- Néron lui-même, joué par Peter Ustinov, qui oscille entre cabotinage et talent : son Néron est plus vrai que nature : ses ridicules font rire, sa folie fait peur, et sa solitude extrême fait pitié. Il a à la fois quelque chose de grand et d'enfantin, une dimension sublime et dérisoire.

Le film joue à la fois sur la dimension intime et spectaculaire, ce qui nous vaut de beaux moments de débats intérieurs, mais aussi des scènes de foules qui sont l'une des grandes réussites du film, puisque malgré quelques trucages, ce sont des milliers de figurants que nous apercevons à l'écran, lors du triomphe de Vinicius au début du film, mais aussi lors de l'incendie de Rome et lors des jeux du cirque où les Chrétiens sont jetés en pâture, Néron leur faisant porter la responsabilité de la catastrophe, et enfin lors de la scène finale, lorsque la foule envahit le palais pour assassiner Néron.



Le film n'omet pas la dimension religieuse, et même si esthétiquement, les scènes qui mettent en scène les Chrétiens ne sont pas toutes des plus réussies, elles font forte impression sur le spectateur, à cause du message délivré : un message de paix et d'amour au milieu d'un monde où la violence et la barbarie font partie du quotidien.

Réalisé en 1950, Quo Vadis eut une genèse compliquée : en projet dans les années 1930 -1940, la seconde guerre mondiale retarda sa réalisation, et il fallut attendre un "mieux économique" pour que tournage en Italie soit rendu possible. Quo Vadis bénéficia en effet de moyens considérables. Gregory Peck et Elizabeth Taylor et Charles Laughton furent d'abord pressentis pour les rôles de Vinicius, Lygie et Néron, avant que ceux-ci échoient finalement à Robert Taylor, comme prévu à l'origine ; Déborah Kerr, jeune actrice brittanique, et Peter Ustinov. Le film porte la marque de l'histoire récente, car rien n'interdit d'établir des parallèles entre l'Empire romain et les régimes fascistes qui avaient mis l'Europe à feu et à sang quelques années auparavant.



La critique du Cinéphile Stakhanoviste :
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2010_05_01_archive.html

mardi 5 octobre 2010

Evelina, de Fanny Burney.


L'auteur de ces lignes se demandait il y a quelques heures encore de quoi il allait allait bien pouvoir parler cette semaine, étant donné que sa pile de livres à lire et de dvds à voir baisse fort lentement, faute de temps et d'envie parfois - quant tout à coup, l'illumination a jailli : mais c'est bien sûr !


Cette semaine, donc, voici un billet sur Fanny Burney, l'un des auteurs anglais les plus populaires du XVIIIème siècle, que Jane Austen admirait beaucoup.



J'ai en effet terminé de lire Evelina il y a une semaine, et je ne me suis pas ennuyée une minute !

J'ai trouvé tout à fait intéressant de voir en quoi cet ouvrage avait pu influencer Jane Austen, et en même temps en quoi cette dernière avait réussi à se démarquer de Fanny Burney.

La forme épistolaire ne gêne en rien la lecture de cet ouvrage, qui prend vite l'allure d'un journal intime que l'héroïne, Evelina, envoie à son tuteur.

C'est écrit dans un esprit très XVIIIème siècle, avec un personnage féminin dont la mère est morte abandonnée par un vil séducteur, et des scènes de reconnaissance qui se veulent très émouvantes ; on pense beaucoup à certains tableaux de Greuze ou aux drames bourgeois à la mode à cette époque. La scène où un jeune homme poète veut se suicider a également quelque chose de très romantique.

Mais ne nous y trompons pas : avec Evelina, Fanny Burney invente le roman sentimental qui mêle habilement les sentiments à la comédie de moeurs. La satire est parfois plus appuyée que chez Jane Austen, mais le roman contient des scènes et des répliques fort drôles.

L'héroïne m'a parue extrêmement sympathique et touchante ; Lizzie Bennet et Catherine Morland lui doivent sans doute chacune un petit quelque chose. Son manque d'habitude des usages du monde lorsqu'elle débarque dans la bonne société londonienne m'a à la la fois amusée et touchée ; amenée à danser pour la première fois avec le noble et séduisant Lord Orville, elle se comporte de manière très compassée, car c'est la première fois qu'elle danse avec quelqu'un d'autre qu'une camarade de couvent ! Elle commet ensuite un impair en riant au nez du fat Lovel qui veut l'inviter à danser, ce qui donne lieu à une scène très drôle, car Lord Orville est stupéfait de la réaction inconvenante de la jeune fille.

Le roman de Fanny Burney a bien quelques défauts - une héroïne beaucoup trop belle pour être réaliste : tous les hommes qui l'aperçoivent veulent l'épouser, ou du moins avoir une aventure avec elle - et son côté snob vis-à-vis de sa famille moins fortunée peut agacer (en même temps, ses cousins cousines et sa grand-mère sont gratinés), mais le roman présente une galerie de personnages fort bien caractérisés et campés, qui permettent de mieux comprendre les usages propres à cette époque. Beaucoup de répliques spirituelles émaillent le texte, et l'auteur fait preuve d'une aisance certaine. Enfin, l'aspect sentimental du roman est tout à fait réussi : Lord Orville est vraiment l'homme idéal dont toutes les lectrices devraient rapidement tomber amoureuses...

Un roman plein de fraîcheur et d'esprit, à découvrir absolument !

PS : Si vous n'avez rien compris à ce billet, c'est qu'il faut vous mettre d'urgence à Orgueil et Préjugés de Jane Austen, sans doute le roman le plus spirituel qui ait jamais été écrit.