vendredi 31 août 2012

Agatha Christie, An Autobiography.

 
S'il y a bien un ouvrage qui vaut vraiment le détour, y compris pour les lecteurs qui n'auraient jamais lu un seul roman policier d'Agatha Christie, c'est bien son autobiographie.
 
 
 
C'est un ouvrage passionnant que je ne me lasse jamais de relire et que je ne saurais trop vous recommander ; vous la trouverez aux éditions du Masque : elle s'intitule tout bêtement une autobiographie et a été excellement traduite par Jean-Michel Alamagny - mais on peut aussi se la procurer en anglais.

Le désir de faire le récit détaillé de sa vie est venu à Agatha Christie à l'âge de 59 ans, à Nimrud, en Irak, le 2 avril 1950, comme elle le raconte elle-même dans son livre :

Je suis censée m'atteler à un roman policier, mais succombant à la tentation naturelle de l'écrivain d'écrire tout sauf ce dont il est convenu, me voilà prise du désir inattendu de rédiger mon autobiographie. Cette irrépressible envie nous guette tous tôt ou tard, me suis-je laissé dire. Elle m'est venue d'un coup.


Voilà, le ton est donné. Cette autobiographie, Agatha l'achèvera en 1965 ; elle ne paraîtra qu'après sa mort, en 1977.


En la lisant, vous découvrirez ce que fut son enfance au sein d'une famille de la bonne bourgeoisie de Torquay, puis sa jeunesse, au temps de la belle époque, et son mariage avec le séduisant Archibald Christie, juste avant la guerre de 1914-18. Pendant la guerre, elle devient préparatrice en pharmacie ; c'est en travaillant dans son laboratoire qu'elle eut l'idée d'écrire un roman policier. Ce sera La Mystérieuse affaire de Styles, prélude à une longue carrière...

Faire le résumé complet du livre serait trop long et risquerait de vous dissuader d'en faire la lecture, mais sachez que contre toute attente, Agatha Christie a eu une vie absolument passionante, qu'elle a fait plusieurs fois le tour du monde, rencontré des gens tout à fait singuliers, et que, last but non least, elle était dotée d'un formidable sens de l'humour, qui se manifeste à chaque page, pour notre plus grand bonheur.
 

Mais le livre ne se borne pas à être une succession d'anecdotes amusantes ; il est l'occasion pour Agatha Christie de nous livrer sans lourdeur aucune ce que son expérience lui a appris.

Nul besoin, en tout cas, d'avoir lu ses romans policiers pour savourer cet ouvrage, qui permet toutefois aux initiés de mieux comprendre son oeuvre, et le pourquoi du comment de l'atmosphère unique qui caractérise ses livres.

A bien des égards, Agatha Christie est l'héritière des femmes de l'époque victorienne : elle éprouvait d'ailleurs une grande nostalgie pour cette période, mais avait suffisamment de bon sens pour apprécier les avantages procurés par le présent.

Amoureuse du théâtre, elle sut donner au roman policier ses lettres de noblesse en le transformant en un rituel régi par des codes extrêmement stricts.

Intelligente et sensible, elle avait une idée bien précise de ce qu'est le mal et le considérait sans complaisance aucune.
 

Cependant, ce qui frappe surtout à la lecture, et laisse une impression durable, c'est cet extraordinaire optimisme, qui n'a rien de stupidement béat, tant s'en faut.

Une formidable leçon de vie.
Et un livre à mettre entre toutes les mains.


jeudi 23 août 2012

Un homme au singulier... le livre et le film.

 
Je prends enfin le temps de poster mon avis sur A single man, le film de Tom Ford. Lorsque j'ai vu ce film en dvd, j'ai découvert un film intimiste absolument sublime, dont les thèmes - le deuil, la solitude, la différence, mais aussi l'amour, le bonheur et la vie - touchent, parce qu'ils sont tout simplement universels .

Je ne connaissais pas du tout Tom Ford en tant que grand couturier, j'avais simplement lu quelques critiques cinématographiques où l'on soulignait son style esthétisant, soit pour le louer, soit pour le blâmer.

En regardant le film, on songe à Wong Kar Waï mais aussi à Douglas Sirk qui ont un style et des thèmes similaires ; cependant, Tom Ford a une esthétique propre, et j'espère vraiment que ses prochains films nous permettront de la découvrir plus en profondeur.

Le film est en effet extrêmement travaillé au niveau de la mise en scène, et ce dès le générique (des corps masculins flottent dans une eau à la fois symbole de mort et de vie) et la scène d'ouverture (George, joué par Colin Firth, rêve de l'accident de voiture survenu huit mois plus tôt à son compagnon, et imagine un paysage froid, lunaire, au coeur duquel il vient déposer un baiser d'adieu sur les lèvres de son ami - réveil en sursaut, ce n'était qu'un rêve, et le stylo avec lequel il était en train d'écrire au moment de se coucher s'est vidé de son encre).



Chaque plan est ciselé, avec des couleurs généralement extrêmement froides : ce jour là, George a décidé que ce serait le dernier, étant donné qu'il n'arrive pas à surmonter le deuil de Jim et que la vie lui est devenue insupportable. Cependant, des moments de grâce vont illuminer sa journée, et à ces moments là, la caméra réchauffe les couleurs : procédé un peu facile, peut-être, mais efficace.

Le fait que l'intrigue se déroule dans les années 1960 contribue à l'atmosphère rétro et raffinée du film, avec un jeu sur les lignes et les courbes des décors, des costumes, etc.

Colin Firth livre une très belle interprétation, peut-être meilleure encore que dans Le discours d'un roi. Il réussit, avec un simple changement d'expression, à suggérer toute une palette d'émotion. Il est sans cesse sur le fil, entre la rigidité propre à son personnage et son extrême vulnérabilité. Ainsi, sur le campus, alors qu'il cherche son pistolet dans sa sacoche et qu'il est dans sa voiture, il est interrompu par un étudiant qui cherche à créer un lien personnel avec lui ; il le rabroue sévèrement, toute son attitude est celle du professeur rigide et sévère qui s'efforce d'avoir une attitude professionnelle, mais le regard cerclé de lunettes exprime bien sa faiblesse extrême.



On a souligné la performance de Julianne Moore, qui joue l'amie de Colin Firth, divorcée, et qui est amoureuse de George. Elle joue très bien, cependant, ce n'est pas sa performance que j'ai retenue, ou son histoire, mais bien plutôt les différentes rencontres de George au cours de cette journée :

- celle de la petite fille des voisins à la banque, qui donne lieu à une scène extrêmement drôle :



- celle de la mère de cette petite fille, lumineuse :



- celle d'un prostitué espagnol qui ressemble à James Dean ;

- celle d'un étudiant avec lequel une complicité véritable va se nouer :




Le film m'a beaucoup émue et touchée ; et après l'avoir vu, je n'ai plus eu qu'une hâte, lire le roman de Christopher Isherwood.

En le lisant, on réalise mieux le formidable travail de scénariste réalisé par Tom Ford ; sur beaucoup de points, le livre diffère du film ; le roman de Christopher Isherwood est très bien écrit, et par moment très moderne et très surprenant ; certains passages forcent d'ailleurs l'admiration tant ils sonnent juste ou révèlent un talent exceptionnel de l'auteur, mais Tom Ford s'en est davantage servi comme d'une trame qu'il a réussi à sublimer et à transformer en y insérant une manière de voir le monde qui lui est propre.

Bref, A single man est vraiment un film à voir, car le réalisateur livre une oeuvre raffinée, subtile et sensible ; Colin Firth, filmé amoureusement, est exceptionnel ; enfin, les thèmes du film et sa manière de voir le monde ne peuvent que toucher le spectateur, quel qu'il soit.

mercredi 15 août 2012

La pluie avant qu'elle tombe, de Jonathan Coe.

J'entends régulièrement parler de Jonathan Coe ; il ya quelques mois, j'ai pu découvrir son dernier roman, La pluie avant qu'elle tombe.



Rosamond vient de mourir, mais sa voix résonne encore, dans une confession enregistrée, adressée à la mystérieuse Imogen. S'appuyant sur vingt photos soigneusement choisies, elle laisse libre cours à ses souvenirs et raconte, des années quarante à aujourd'hui, l'histoire de trois générations de femmes, liées par le désir, l'enfance perdue et quelques lieux magiques. Et de son récit douloureux et intense naît une question, lancinante : y a-t-il une logique qui préside à ces existences ?


J'ai trouvé l'intrigue extrêmement bien menée, avec cette femme qui décède mais laisse en héritage une série de cassettes où elle commente vingt photos de famille pour expliquer à Imogen, la petite fille de sa meilleure amie, son histoire si particulière.

C'est un roman très féminin (il y a très peu de personnages masculins dans l'intrigue), très bien écrit et très mélancolique, puisqu'il met en avant des histoires familiales extrêmement tourmentées, et le rôle du hasard et peut-être de l'hérédité dans ce qui arrive aux différents personnages.

En fait, j'ai pris grand plaisir à le lire, jusqu'à ce que je referme la dernière page [Attention, spoiler : c'est à ce moment là que j'ai réalisé combien cette histoire était triste, et par certains aspects peu vraisemblable (j'ai du mal à comprendre pourquoi celle qui raconte cette histoire sur ces bandes audio se focalise sur la petite fille de Beatrix, alors qu'une fois parvenue à l'âge adulte, elle se met à la détester - Beatrix lui apparaît en effet comme extrêmement manipulatrice. Au fond, que peut bien représenter Imogen pour elle ? Veut-elle combler son désir de maternité en s'occupant de Théa, puis de sa fille Imogen ? Je n'ai pas bien saisi)].

Dans le même genre, j'ai préféré L'étrange disparition d'Esme Lennox, qui m'a davantage touchée et laissée sur une meilleure impression ; je pense cependant que l'écriture de Jonathan Coe est supérieure à celle de Maggie O'Farrell. Voilà en tout cas deux romans qui présentent des points communs, et dont la lecture est vraiment passionnante.

La lecture de La pluie avant qu'elle tombe m'incite à essayer de lire d'autres livres de cet auteur ; surtout que ce roman semble un peu à part dans sa bibliographie.

mardi 7 août 2012

Jane Eyre, de Cary Fukunaga (2011).

J'ai vu cette adaptation jeudi dernier, et j'ai plutôt bien aimé. Je trouve que c'est à la fois une bonne adaptation et un bon film.


L'une des grandes forces de cette réalisation, c'est sa construction. Cary Fukunaga a osé destructurer la trame narrative du roman, et ce choix s'est révélé heureux. Du coup, on n'a pas une plate mise en images du roman comme c'est souvent le cas dans beaucoup d'adaptations, mais un film à la structure intéressante. L'intrigue débute en effet lorsque Jane s'enfuit du château après son mariage avorté. Cela surprend le spectateur qui connaît le livre, et intrigue celui qui est dans l'ignorance : qu'est-il arrivé à cette jeune fille pour qu'elle prenne ainsi la fuite ? Recueillie par les Rivers, elle se remémore son passé par flash back : Gateshead, Lowood, son arrivée à Thornfield Hall.


Globalement, j'ai trouvé toute la première partie du film très réussie : Mia Wasikowska se révèle une meilleure Jane Eyre que ce à quoi je m'attendais. Son jeu est simple, mais sonne de manière juste et convaincante. Il repose essentiellement sur les expressions de son visage (et qu'est-ce qu'on est content d'avoir affaire à une actrice plus expressive que Charlotte Gainsbourg dans la version de 1996, avec son éternel abat-jour fixé sur la tête, et son jeu monotone et inexpressif !). Bien sûr, difficile pour l'actrice de rendre toutes les facettes du personnage, mais sa prestation est honnêtes. Quant aux comédiens qui interprètent les rôles secondaires, ils sont très bons ; les costumes et les décors sont beaux (c'est quand même important dans ce type de film ! ;) ; la fuite éperdue sous la pluie et la nuit dans la bruyère m'ont beaucoup fait songer à ce tableau préraphélite :


On a quelque chose qui nous tire du côté d'un romantisme assez sombre dans le début du film, et en ce sens, on perçoit mieux la parenté du livre avec Les Hauts de Hurlevent. L'aspect gothique est également assez présent, au moins dans la première partie.

Par moment cependant, j'ai trouvé que d'une manière générale, le réalisateur forçait un tout petit peu trop le trait (les pleurs de Jane au début, la reconstitution de l'enfance que je trouve beaucoup trop misérabiliste dans ses choix de mise en scène - je soupçonne d'ailleurs le réalisateur d'avoir un peu trop lorgné du côté de l'adaptation de 1996 pour cette partie là, car ce sont quasiment les mêmes scènes qui sont privilégiées), et ce trait un tout petit peu trop appuyé, je l'ai retrouvé dans la suite du film (par exemple, dans cette scène où Jane contemple une gravure d'une femme nue, scène censée montrer son éveil à la sensualité - j'ai trouvé ça un tout petit peu lourd et inutile, tout comme la scène de quasi-baiser).


La seconde partie du film, cependant, ne démérite pas par rapport à la première. Plus lumineuse, elle permet au spectateur de découvrir Rochester - et Michael Fassbender campe un très bon Rochester, tout à tour taquin et tourmenté. Bien sûr, il est trop beau pour le rôle, mais son jeu est excellent, et on se prend à regretter qu'il n'occupe pas davantage de temps à l'écran. Car les scènes de dialogue avec Jane permettent d'introduire les rares moments humoristiques du film, qui sont comme des bouffées d'oxygène au milieu d'une atmosphère très sombre. Mais comme ces scènes de dialogue sont courtes ! Je veux bien croire que cela sert l'efficacité narrative du film, mais je trouve cette rapidité un poil dommage. Une scène supplémentaire pour voir la complicité entre Jane et Rochester s'installer n'aurait pas été de trop.

On se laisse emporter jusqu'au mariage, et la scène qui suit la carémonie ratée est juste excellente - la meilleure du film selon moi, Michael Fassbender s'y révèle un excelelnt interprète des tourments intérieurs du personnage. Et la fin est très bien, même si le réalisateur s'est manifestement inspiré de l'adaptation de 1944 cette fois dans son traitement, puisque Jane Eyre retrouve Mrs Fairfax dans les ruines du château - pourquoi pas, mais c'est un tout petit peu moins bon que dans la version originale.


En somme, une bonne adaptation et un bon film que je prendrai plaisir à revoir. Alors bien sûr, j'airais aimé que la révolte intérieure de Jane soit davantage sensible, que Saint-John Rivers soit interprété par un comédien beau à damner pour mieux montrer à quel point il représente une alternative tentante pour l'héroïne, mais face à une adaptation sobre et intelligente, on ne va pas bouder son plaisir.