J'ai terminé hier soir Parfums de Philippe Claudel, une sorte
d'abécédaire qui s'efforce de ressusciter les parfums que l'auteur associe à son
enfance et à sa jeunesse. Entreprise à la fois baudelairienne et proustienne qui
lie parfums et souvenirs ; exercice de style, aussi, qui fait un peu songer à
Gracq et à son écriture du fragment ; certains passages ont la beauté des
meilleurs vers de la langue française. Sous la plume de Claudel ressuscite le
pays de son enfance, Dombasle, Nancy, les Vosges. Un peu inégal parfois, mais
globalement un très beau livre, qu'on prend plaisir à feuilleter et à savourer.
Quelques passages choisis en guise de mise en bouche :
ALAMBIC
Car là, au profond d'un mystère que nous ne comprenons pas, c'est bien le soleil qui, dans les méandres du labyrinthe de cuivre chauffé, se change en eau-de-vie. Soleil des fruits d'or et de parme, mirabelles, poires, quetsches, prunelles sauvages, récoltées quelques mois plus tôt si mûrs au pied des arbres que leur poids sucré les a fait chuter et se fendre souvent, excédés de leur surabondance et de leur pulpe chaude, puis mêlés dans des tonneaux où, loin de pourrir, ils se sont mariés les uns aux autres en un moût entêtant et bulbeux. Dans la cabane au-dessus de la rivière se joue le dernier acte. La chair devient pur alcool.
SAPIN
Les sapins nous enveloppent de leurs basses branches. C'est un monde de quiétude, de bruissements d'abeilles, de cheminement, de limaces, de fourmillières pharaoniques, de geais qui filent, bleus, laissant parfois tomber une plume blanche chamarrée de gris que je plante dans mes cheveux. Je fouille les mousses qui retiennent même au plus chaud de l'été toujours un peu d'humidité, une spongiosité tourbée.
REMUGLE
Sans doute est-ce là, dans cette bibliothèque surannée, au profond du silence, parmi les visages absents de mes camarades et leurs corps ennuyés, enivré par le remugle - puisque c'est là le nom et l'odeur des vieux livres comme je l'appris bien plus tard -, que j'entre dans un pays, celui de la fiction et des mille sentiers, que je n'ai depuis jamais vraiment quittés. Je suis comme les livres. Je suis dans les livres. C'est le lieu où j'habite, lecteur et artisan, et qui me définit bien.
Livre lu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire 2012, opération organisée par le site de Priceminister. Merci à Constance, à Summerday, et à Oliver. ;)
Note attribuée au livre : 16/20
Lien vers la fiche produit :