Daphné du Maurier, dont il était question ici l'autre jour, est une romancière surtout connue pour son roman Rebecca, qui fut adapté par Alfred Hitchcock en 1939, avec Joan Fontaine et Laurence Olivier dans les rôles principaux. Quand on y regarde de plus près, on constate que beaucoup de livres de la romancière furent finalement adaptés par le Maître du Suspense... Ma cousine Rachel échappe cependant à la règle.
L'histoire est celle de Philip, un jeune garçon élevé en Cornouailles par son oncle Ambroise, qui a des idées bien arrêtées sur l'éducation et l'élève en l'absence de toute présence féminine - il est célibataire et vieux garçon, et aucune femme ne fait partie de la domesticité - dans l'amour de ce qui est juste et de ce qui est bien. C'est pourquoi au début du roman - saisissante scène inaugurale - alors que le jeune Philip n'a que 7 ans, il l'emmène voir le corps d'un supplicié qui a tué sa femme, afin de lui rappeler quels sont les choix moraux qui s'offrent à lui en cette vie.
Philip est donc élevé pour devenir un second Ambroise, et les deux hommes, malgré la différence de génération, vivent de manière fusionnelle. Malheureusement, l'oncle Ambroise, l'âge venant, souffre de rhumatismes : qu'à cela ne tienne, il ira passer les hivers en Italie pour préserver sa santé, et Philip restera dans leur domaine de Cornouailles pour veiller au grain. Et puis, Ambroise, passionné de botanique, en profitera pour rapporter des espèces rares afin qu'elles puissent être replantées dans le parc...
C'est au cours d'un de ces voyages hivernaux qu'Ambroise sera amené à rencontrer sa cousine, Rachel, une jeune veuve qui vient de perdre son mari. Contre toute attente, ce vieux misogyne en tombe amoureux, et Philip, resté en Cornouailles, sans la connaître, la déteste, parce que d'une certaine manière, elle lui vole l'affection de son oncle ; aussi quand Ambroise lui écrira qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner, Philip le croira d'emblée.
Il se rend alors en Italie, où il apprend la mort d'Ambroise ; l'épouse de ce dernier, Rachel, à qui son Ambroise n'a rien légué, a disparu, et Philip jure de venger son oncle. De retour en Cornouailles, il apprend l'arrivée de Rachel et son souhait de le rencontrer ; il la reçoit alors dans son domaine, et force est de constater que Rachel n'a rien de la femme qu'il avait imaginée :
Ma première impression fut presque de stupéfaction à la trouver si petite. Elle m'arrivait à peine à l'épaule. [...] Elle était vêtue d'un noir mat qui retirait toute couleur à son visage, et il y avait de la dentelle à son cou et à ses poignets. Ses cheveux étaient bruns, partagés par une raie au milieu et noués en chignon sur la nuque, ses traits étaient nets et réguliers. La seule chose qu'elle eût de grand, c'était les yeux qui, à ma vue, s'élargirent avec un regard qui semblait soudain me reconnaître, surpris comme les yeux d'une biche, puis passèrent de là à la stupéfaction et de la stupéfaction au chagrin et presque à la terreur. Je vis le sang affluer à son visage puis s'en retirer. Je pense que je lui causais un choc égal à celui qu'elle avait provoqué en moi. Il eût été difficile de dire lequel de nous était le plus agité, le moins à l'aise.
Le choc de la jeune femme s'explique par le fait que Philip ressemble comme deux gouttes d'eau à Ambroise, mais en plus jeune...
Rapidement, Philip et Rachel sympathisent, et celle-ci finit par s'installer à demeure, ce qui nous vaut quelques belles scènes assez austeniennes dans leur esprit quand le pasteur des environs, sa femme et leurs filles viennent faire leur visite dominicale, ou quand Seecombe, le majordome, astique l'argenterie pour rendre les honneurs dus à la belle visiteuse - car il y a de l'humour dans ce roman, ce qui est suffisamment rare chez Daphné du Maurier pour être noté.
Philip ne tarde pas à s'éprendre de Rachel, lui qui était promis à Louise, la fille de son parrain - et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c'est sans compter sur l'esprit retors de l'auteur, qui nous réserve une surprise à sa façon...
Très anglais dans l'esprit, ce roman nous plonge dans les méandres de l'âme humaine et ravira tous ceux qui apprécient le don de la romancière pour le suspense psychologique.
Détail amusant, ce roman a été adapté en 1952 avec Olivia de Havilland, la soeur de Joan Fontaine, dans le rôle titre.