mercredi 27 octobre 2010

Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier.

« Il mourut un dimanche matin, le 24 septembre 1848. Il avait trente et un ans. Il s’éteignit dans la chambre qu’il avait si longtemps partagée avec son père et où, enfant, s’éveillant dans la nuit, il voyait briller la lune à travers les fenêtres dépourvues de rideaux tandis que son père, à genoux, priait. Cette chambre, depuis de trop nombreux mois, était à la fois pour lui un refuge et une prison. »

Si la littérature consacrée à Charlotte, Emily et Anne Brontë abonde, si les romans de ces dernières, Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent et La Dame du château de Wildfell sont à juste titre considérés comme des œuvres majeures de la littérature mondiale, l’histoire a négligé l’importance de leur frère Patrick Branwell Brontë (1817-1848) dans leur processus de création.

Romancière anglaise universellement célébrée pour les chefs-d’œuvre de littérature romanesque que sont Rebecca et L’Auberge de la Jamaïque, Daphné Du Maurier (1907-1989) a voulu rendre hommage à ce frère tout aussi génial que maudit et à l’importance de son étroite collaboration avec les trois intéressées. Écrit en 1960, Le Monde infernal de Branwell Brontë évoque ainsi « l’enfer intérieur » que vécut le grand oublié de cette famille illustre. Tandis que Charlotte, Emily et Anne, portées par leur extraordinaire talent, se sont progressivement engagées sur la voie de la création, Branwell a cessé de cultiver sa fantastique fécondité littéraire et a sombré dans une inexorable autodestruction. « S’il apporte un nouvel éclairage sur un être si longtemps diffamé, négligé, méprisé même, et lui redonne la place qu’il mérite dans cette famille Brontë dont il fut, jusqu’aux années de complète déchéance, un membre tant aimé, ce livre n’aura pas été écrit en vain. »


Quand on découvre l'oeuvre d'une des soeurs Brontë, on a forcément envie de découvrir les autres oeuvres de cette fratrie, et voilà que sans y prendre garde, nous nous retrouvons happés par le destin de cette famille tout entière, avec l'irrésistible besoin d'en savoir plus sur chacun des membres qui la composent, l'irrépréssible envie de comprendre, surtout, quels mécanismes de création ont été mis en oeuvre pour aboutir à une oeuvre aussi forte, singulière et originale.

Après ma découverte de Jane Eyre de Charlotte Brontë il y a fort longtemps, j'ai enchaîné avec la lecture des Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, avant de m'initier aux oeuvres mineures des trois soeurs, puis de lire leurs écrits de jeunesse publiés par les éditions Bouquin.

Il y a quelques années, j'ai même poussé le vice jusqu'à lire la biographie qui fait référence, celle rédigée par Elizabeth Gaskell, un auteur ayant vécu à la même époque que Charlotte Brontë et ayant eu la chance de la côtoyer. Si mon avis - plutôt mitigé, je dois dire - sur cette biographie vous intéresse, vous pouvez le lire ici :

http://whoopsy-daisy.forumactif.net/jane-eyre-dans-tous-ses-etats-f49/la-vie-de-charlotte-bronte-par-elizabeth-gaskell-t1172.htm

Voilà où j'en étais, jusqu'à ce que la semaine dernière, je me décide à lire Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier.

J'aurais l'occasion de reparler de cet auteur dans un prochain billet, donc je n'en dis pas trop ; sachez simplement, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, qu'il s'agit d'un écrivain britannique réputé dans les années 1950 pour ses romans, dont certains s'inspirent de l'atmosphère qui baigne les romans victoriens - ainsi, Rebecca n'est jamais rien d'autre qu'une réécriture très réussie de Jane Eyre. Notons aussi au passage que beaucoup des oeuvres de Daphné du Maurier (dont c'est le vrai nom, et non un pseudonyme - eh oui ;)) ont été adaptées au cinéma par Alfred Hitchcock, avec plus ou moins de bonheur.

Donc, Daphné du Maurier est l'auteur de ce livre sur Branwell Brontë et sa famille. Cela va m'être un peu difficile d'en parler, étant donné que je ne l'ai pas sous la main (une valise a une contenance limitée, et je privilégie les livres que je n'ai pas lus lorsque je dois choisir ceux que je mets dedans), mais voilà : moi qui ai horreur des biographies d'écrivain, j'ai tout bonnement été enchantée par celle-ci.

Pourquoi ? Parce que l'auteur est manifestement passionné par son sujet, et que cela se manifeste dans son écriture ; pour s'en convaincre, il suffit de lire le premier chapitre, où l'on trouve une description saisissante de ce que Branwell dut vivre et ressentir sur son lit de mort.

Branwell était le seul garçon de la famille ; orphelin de mère, ayant perdu ses deux soeurs aînées, sa famille attendait beaucoup de lui et il fut sans doute trop gâté. C'est ce qui explique en partie que ses talents, bien réels - il est sans doute celui qui poussa ses soeurs à l'écriture en inventant avec elles un monde irréel, d'où le titre du livre - furent gâchés, le conduisant à la déchéance (dépression, consommation d'alcool, d'opium et de laudanum) et à la mort. A cela s'ajoute d'autres circonstances et facteurs - une épilepsie probable, une absence de sociabilisation par l'école, une absence de rigueur, une difficulté à s'insérer socialement, et son aventure (supposée, ou réelle) avec la mère - mariée - des élèves dont il fut le précepteur.


Un portrait des trois soeurs Brontë par Branwell... qui s’est ensuite effacé volontairement de la toile.

Daphné du Maurier procède par reconstitution - et par imagination. Elle avance des hypothèses quand certaines données sont manquantes - et tranche, de manière souvent très subjective, faisant de Branwell Brontë un être qui ne réussit jamais vraiment à sortir de son monde imaginaire, malheureux de n'avoir pas réussi à devenir quelqu'un, jaloux de ses soeurs, qui lui cachèrent, pour le ménager, le fait qu'elles avaient réussi à publier leurs romans, le jeune homme finissant par s'enfermer dans le mensonge - avec beaucoup d'audace, Daphné du Maurier remet en question la version forgée par Branwell lui-même, selon laquelle il aurait eu une aventure avec Madame Robinson, la mère de ses élèves, pour expliquer son renvoi. Elle critique aussi son oeuvre, jugeant certains de ses poèmes brillants, d'autres absolument mauvais ; admire sa grandeur, stigmatise ses faiblesses. A la fois analyse critique et roman d'imagination, ce livre nous plonge en effet au plus près de l'univers de la famille Brontë en citant de nombreux extraits de la correspondance de chaque membre de la famille, ainsi que leurs poèmes et leurs écrits de jeunesse.

On peut ne pas être d'accord avec les conclusions qu'elle tire des faits et des écrits qu'elle rapporte - et ce fut souvent mon cas au cours de cette lecture, mais incontestablement, Daphné du Maurier a rédigé là un essai personnel, original et brillant, qui saura séduire tous les inconditionnels de cet écrivain et du sujet qu'elle traite. Quant à savoir si Branwell fut à l'origine des personnages de Rochester et de Heathcliff, je ne serais pas aussi catégorique que certains commentateurs sur la question, même s'il est probable que les trois soeurs se sont inspirées des figures masculines qu'elles côtoyaient - leur père, Branwell, et, dans le cas de Charlotte, Constantin Heger, en faisant fonctionner leur imagination, à la manière de la nacre que secrète l'huître autour de la poussière qui se trouve à l'intérieur de sa coquille.

3 commentaires:

  1. Pas très amateur de biographie non plus mais ça a l'air vraiment intéressant surtout s'il y a interprétation personnelle et imagination autour des faits et figures bien connus. Ca me rappelle in peu un livre que j'avais beaucoup apprécié, "Blonde" de Joyce Carol Oates qui offrait une biographie très romancée et respectueuse à la fois de Marilyn Monroe.

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  2. Tiens, c'est un livre dont j'entends parler depuis très longtemps, mais que j'hésite à lire... si tu en dis du bien, je me laisserai plus volontiers tenter.

    (J'ai été un peu déçue par le bouquin de Michel Schneider, "Marilyn, dernières séances" que j'ai aimé feuilleter en librairie, mais que j'ai été incapable de lire de manière suivie une fois acheté).

    Sinon, "Le monde infernal de Branwell Brontë" est vraiment bien, on ne s'ennuie pas. ;)

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  3. Blonde est probablement l'un des meilleurs livre, sinon le meilleur, écrit sur MM, celui qui semble s'approcher au plus près de sa vérité.

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