J'ai lu cet ouvrage pour la première fois à l'âge de seize ans, dans une traduction ancienne et pas forcément très bonne, et j'avais vu l'une de ses adaptations cinématographiques quelques années auparavant : je suis complètement passée à côté de ce livre, alors que j'avais réussi à lire et à apprécier la même année Madame Bovary de Flaubert, ouvrage pourtant aussi ardu, abordant un thème similaire.
J'ai redécouvert Anna Karénine il y a quelque temps avec enchantement, et je n'ai eu aucun mal à aller jusqu'au bout du livre, contrairement à ce qui s'était passé les années précédentes.
Anna Karénine est un livre très bien écrit : chaque phrase est savoureuse. Les personnages sont très bien peints, qu'il s'agisse de Lévine, Kitty, Anna, Vronsky, ou de personnages apparemment moins importants. Le style de Tolstoï tient le juste milieu entre un Stendhal pour l'aspect ingénu et spirituel, et un Flaubert pour l'aspect réaliste. La société de l'époque est décrite très précisément, et Tolstoï excelle dans les scènes de genre (dîner, chasse, courses, bal, mariage...) et sait les renouveler en leur apportant beaucoup de fraîcheur. L'auteur fait preuve d'une grande finesse psychologique ; il sait rendre ses personnages vivants, parfois en mentionnant un seul détail de leur physique ou de leur caractère.
L'architecture de ce roman de moeurs est à la fois très savante et très discrète ; Anna Karénine n'est pas le personnage principal du livre, contrairement à ce que le titre pourrait nous faire penser.
La structure repose en fait sur trois couples :
- Stépane Arcadievitch Oblonsky et Daria Alexandrovna ;
- Lévine et Kitty Chtcherbatzki ;
- Anna Karénine, d'abord mariée à Alexis Alexandrovitch, et qui deviendra ensuite la maîtresse de Vronski.
Ces trois couples sont l'occasion pour Tolstoï de livrer au lecteur sa vision du monde et de se livrer à des réflexions métaphysiques, sans pour autant être didactique.
Lévine et Anna sont deux personnages qui seront amenés à se croiser dans le roman, et qui, bien que très différents, sont les vecteurs d'une même interrogation sur le monde et sur ce qui fait le sens de la vie. Sauf que Lévine aura plus de chance qu'Anna, parce qu'il est un homme, et elle une femme, et qu'ils vivent dans une société profondément inégalitaire de ce point de vue là.
Tolstoï a mis beaucoup de lui-même dans le personnage de Lévine, et il a su capturer à merveille l'essence d'Anna, ce personnage féminin si troublant, qu'il désapprouve d'un point de vue moral, mais qu'il justifie d'un point de vue romanesque. Même si Anna a un comportement que l'on ne peut juger qu'immoral pour l'époque, sa quête d'un sens à sa vie donne sa légitimité à ce personnage, malgré ses erreurs et ses errances.
L'adaptation avec Sophie Marceau ne rend que très imparfaitement justice à ce chef d'oeuvre littéraire, mais reste intéressante à analyser. Il existe aussi une adaptation avec Vivien Leigh, qui fait référence. Et il est beaucoup question depuis un moment de la récente adaptation de Joe Wright avec Keira Knightley, qui devrait sortir sur nos écrans dans quelques mois. Les quelques extraits vidéos qui circulent sur le net ainsi que les affiches du film laissent présager un joyeux jeu de massacre...
J'irai sans doute la voir, plus pour rigoler qu'autre chose ! ^^