mardi 28 septembre 2010

Vanity Fair, de Mira Nair (2005).

Après le livre... le film !


J'ai regardé cette adaptation samedi dernier, et j'ai été extrêmement séduite par le travail de Mira Nair sur le roman de Thackeray. Je trouve que celle-ci s'est magnifiquement débrouillée pour adapter ce roman de plus de mille pages, ce qui était loin d'être simple au départ. Alors bien sûr, il y a pas mal de raccourcis, mais c'était un peu inévitable ; certains éléments de l'intrigue ont été modifiés, et les personnages sont un peu plus lisses et un peu moins scandaleux que dans le roman. Mais globalement, c'est à "une belle infidèle" que nous avons affaire là : Mira Nair a su faire de cette adaptation quelque chose de moderne. Ses parti-pris sont bien sûr discutables, mais ils sont tous intéressants.

Ainsi, le générique du début met en scène, entre autres choses, un paon, animal très coloré qui convient très bien aux coloris chatoyants de l'adaptation, mais qui symbolise aussi la vanité, et dont les yeux qui figurent sur les plumes préparent à d'autres scènes du film, où le regard, dissimulé par un masque, un voile ou un éventail, a son importance.


La première scène est quant à elle assez inattendue : un homme extrêmement bien habillé descend de sa voiture pour parcourir à pieds les bas-fonds boueux de Londres. Il s'agit de Lord Steyne, qui se rend chez le père de Becky Sharp, un peintre de grand talent. C'est dans son atelier qu'on découvre l'héroïne du film, Becky Sharp, alors âgée de dix ans, qui marchande avec le noble aristocrate la vente du portrait de sa mère.

Cette scène permet de mieux comprendre l'attitude qu'elle aura par la suite vis-à-vis du protecteur de son père, et il est extrêmement intéressant de voir la caméra se focaliser pendant plusieurs minutes sur les pieds et les jambes de Lord Steyne, vêtu de soie, qui enjambe les enfants miséreux de ce quartier de Londres, et dont la cape traîne dans la boue.

D'emblée, on comprend que l''adaptation sera châtoyante, mais pas imbécile : le regard porté sur le Londres de cette époque est très lucide.

Reese Witherspoon, que je vois pour la première fois sur l'écran, est étonnante dans ce rôle d'une jeune fille extrêmement jolie, intelligente et manipulatrice. Le personnage qu'elle incarne a beau avoir des aspects déplaisants, je la trouve extrêmement sympathique : c'est une Lizzie Bennet qui aurait eu un parours différent au cours de son enfance, ce qui explique sa soif de revanche et son désir d'ascension sociale. Mira Nair la met magnifiquement en valeur par sa manière de filmer.

Les autres acteurs ne sont pas en reste, et on a le plaisir de retrouver des têtes bien connues :

- James Purefoy, qui incarnait Tom Bertram dans Mansfield Park 1999, et à qui le rôle du capitaine Rawdon, avec son physique avantageux et son côté roublard, convient assez bien ;


- la sympathique Romola Garai dans le rôle de la fadasse Amélia ;

- Rhys Ifan dans le rôle du capitaine Dobbin ;

- Jonathan Rhys Meyer dans le rôle de George Osborne, qui a tout du jeune coq, au sens propre comme au sens figuré ;

- un certain nombre de vieilles dames habituées des period dramas (on retrouve ainsi la Lady Catherine de Burgh d'Orgueil et Préjugés 1995 dans le rôle d'une aristocrate très très snob, mais aussi une actrice qui jouait le rôle d'une vieille fille dans l'adaptation du roman d'Elizabeth Gaskell, Femmes et Filles) ;

- l'acteur qui joue le rôle du professeur dans la dernière adaptation des Quatre filles du Docteur March, dans le rôle - ici abject - de Lord Steyne ;

et bien d'autres. On a l'impression d'être en pays de connaissance, et ma foi, c'est très agréable !

Sinon, l'adaptation est très colorée, sans pour autant tomber dans le ridicule, le mauvais goût ou le kitsch : c'est une adaptation qui caresse l'oeil sans l'agresser. Les costumes et les décors sont "indianisés", ce qui leur donne une touche décalée et moderne : non, nous ne sommes pas dans une énième adaptation en costumes compassée et poussiéreuse ; au contraire, le film montre la modernité du chef d'oeuvre de Thackeray, et en épousant le point de vue de l'une de ses héroïnes, Becky Sharp, adopte une posture résolument féministe.


L'Inde, pays dans lequel est né Thackeray, et auquel il fait plusieurs fois référence dans La Foire aux Vanités, est fréquemment convoquée par Mira Nair, qui en fait une voie d'accès à une forme de vie plus heureuse.

Bref, on rit, on est ému, et on passe un excellent moment. A voir !

mardi 21 septembre 2010

L'Autre Dumas, de Safy Nebbou (2010).

La pile de dvds que j'ai à voir commençant à s'accumuler de manière inquiétante, j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes, et j'ai regardé ce week-end avec beaucoup de plaisir L'Autre Dumas.



L'Autre Dumas est un bon film, porté par un scénario solide - qui s'inspire d'une pièce créée en 2003, Signé Dumas - et des comédiens talentueux, Safy Nebbou filmant le tout avec un esprit résolument contemporain, évitant ainsi de sombrer dans le piège de l'académisme qui menace toujours de plomber les films en costumes.

L'Autre Dumas repose sur la confrontation de deux personnages à la fois complètement différents et profondément liés et complémentaires : Alexandre Dumas, l'écrivain qui vit en pleine lumière, et son "nègre", Auguste Maquet, qui vit dans l'ombre du grand homme auquel il est pourtant nécessaire.



Comme l'explique le réalisateur : "L'un, Maquet, a tout du gratte-papier laborieux et besogneux, il se consume de l'intérieur. L'autre, Dumas, a le génie de mettre en place ses textes et ses idées, il crée avec facilité et dans le plaisir, comme le montre la scène où ses feuillets s'envolent dans les dunes. Comment vit-on dans l'ombre d'un grand homme ? Comment fait-on pour trouver sa place ? Le drame intime de Maquet c'est son admiration sans bornes pour Dumas et chacun sait que l'admiration, quand elle va jusqu'au mimétisme, jusqu'à la perte de soi, est un mélange explosif d'amour et de haine. [...] J'aime à penser qu'il s'est passé quelque chose de fort entre ces deux-là. [...] Auguste Maquet est une force créatrice pour Alexandre Dumas. Sans lui il désespère et n'arrive plus à écrire, comme dans cette scène où Maquet a disparu depuis trois jours et où Dumas fait le constat de son impuissance. Le génie foisonnant de Dumas a besoin de la rigueur méthodique de Maquet".

Ces deux personnages sont interprétés avec talent par Benoît Poelvoorde et Gérard Dépardieu, à qui le rôle va comme un gant. Tous deux sont remarquables (avec une préférence peut-être pour Benoît Poelvoorde).

Une attention particulière a été portée aux rôles féminins, et j'ai beaucoup aimé Dominique Blanc dans le rôle de la secrétaire et maîtresse de Dumas, ainsi que Catherine Mouchet dans le rôle de l'épouse d'Auguste Maquet. Mélanie Thierry est très bien, mais j'ai moins aimé son rôle, ainsi que tout ce qui a trait à la révolution de 1848, la partie la plus faible du film à mon avis.



Le film baigne dans une atmosphère de douce fantaisie, et se révèle tout à fait passionnant lorsqu'il explore les relations entre Alexandre Dumas et Auguste Maquet, entre comédie et tragédie intime.

D'après ce que j'ai pu glaner ici ou là sur Internet, Safy Nebbou s'est inspiré de plusieurs sources et univers artistiques pour bâtir l'univers de L'autre Dumas. Il s'est d'abord et avant tout inspiré, selon ses propres termes, du cinéma anglo-saxon : Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears ; Le Temps de l'innocence de Martin Scorsese, ainsi que la mini-série britannique Elizabeth I réalisée par Tom Hooper en 2005, qui retrace la vie privée de la reine d'Angleterre Elisabeth I. Du côté des influences françaises, il faut chercher "des films qui ont dépassé l'époque" : La Reine Margot de Patrice Chéreau ou Saint-Cyr de Patricia Mazuy. Du côté de la peinture, Safy Nebbou revendique une influence importante des peintres Vermeer, Rembrandt et Delacroix (c'est flagrant pour tout ce qui a trait à l'épisode révolutionnaire de 1848)... Sans oublier pour finir de nombreuses biographies historiques consacrées à Alexandre Dumas Père, dont celle écrite par l'historien Henri Troyat, Les Trois Dumas, un ouvrage que j'ai lu il y a longtemps et que j'avais trouvé tout à fait passionnant.

Bref, un très joli petit film, que je recommande à tous.


lundi 13 septembre 2010

La Foire aux vanités, de Thackeray.


Qui est William Makepeace Thackeray ?

Thackeray est l'un des grands auteurs de la littérature anglaise du XIXème siècle, le rival de Dickens. Il est principalement connu pour les Mémoires de Barry Lindon, qui inspira le film que l'on sait, et pour La Foire aux vanités, qui parut d'abord en feuilleton dans le magazine Punch. On a vu en lui l'un des meilleurs représentants le l'esprit victorien.

Pourquoi ce livre ?

Tout simplement parce que Charlotte Brontë (un de mes auteurs de chevet) avait beaucoup d'admiration pour cet auteur, à qui, si mes souvenirs sont bons, elle dédia Jane Eyre, ce qui embarrassa considérablement Thackeray, car son épouse était démente. La Foire aux vanités s'inspire également d'un passage d'un autre livre très connu de l'époque, The Pilgrim's Progress de Bunyan, l'un des intertextes importants de Jane Eyre. Enfin, on a vu dans le livre de Thackeray, au moment de sa parution, un roman à clef, et dans son héroïne, Becky Sharp, un double de Charlotte Brontë elle-même (ce qui, quand on connaît un peu la personnalité de cet auteur, est ridicule, mais amusant).

Le roman de Thackeray

La Foire aux vanités (en anglais, Vanity Fair : A Novel Without a Hero) est un roman qui fait siennes les paroles de l'Ecclesiaste : "vanité, tout est vanité", et qui prétend décrire la société anglaise et ses ridicules de manière extrêmement drôle et satirique. Les premières et dernières lignes du texte assimilent ainsi le romancier à un montreur de marionnettes, et la société à un théâtre dont les pantins seraient les personnages du livre.


Dès les premières pages, ça commence fort, puisqu'on assiste à la sortie de deux jeunes pensionnaires de l’Institut de jeunes filles de Chiswick Mall.

La première, Amelia Sedley, dite Emmy, possède tout ce qu’il faut avoir pour réussir dans la vie : des parents à l’aise et aimants, un frère à la situation solidement établie aux Indes, un amoureux tout trouvé, George Osborne et les rêveries propres à son âge. C'est un ange de vertu.

La seconde, Rebecca Sharp (qui signifie en anglais pointu, piquant), dite Becky, est la fille d'un peintre devenu alcoolique, et d'une actrice. Elle est pauvre et orpheline. Elle n'a rien, sauf l'assurance d'un poste de gouvernante dans une famille de nobliaux à la campagne, les Crawley.


Elle est jolie, intelligente, son don pour la musique est exceptionnel, et sa maîtrise du français, parfaite ; c'est d'ailleurs ce qui lui a permis d'entrer dans cet Institut : elle ne paye rien, mais en contrepartie, donne quelque cours aux jeunes filles de bonne famille qui se trouvent là.

Soyons clair : Becky est sympathique, mais c'est une garce. Comme elle déteste la directrice, elle ne se gênera pas pour jeter par la fenêtre de la voiture qui l'emmène, elle et son amie Amélia, dans la famille de celle-ci, le dictionnaire grâcieusement offert par les dames de la pension aux deux jeunes filles.
La première édition de Vanity Fair fut illustrée par Thackeray lui-même ; ici, sir Pitt demande Miss Sharp en mariage.

Autant Amelia est douce, résignée, généreuse, paisible et sans grande imagination - disons même : ennuyeuse, passive et sans grande personnalité, autant Becky pour sa part déborde de joie de vivre : jolie, vive, rusée, sans beaucoup de scrupules, c’est une "battante" qui utilise tous les moyens qui sont à sa disposition pour aboutir à ses fins, à savoir une situation respectable.

Elle n'aura aucun scrupule pour tenter de séduire le gros et fat Joe Sedley, le frère d'Amélia ; mais le fiancé de cette dernière, un personnage vain et égoïste, George Osborne, fera échouer ses plans. Elle sera alors obligée de se rabattre sur la famille Crawley pour assouvir sa soif de revanche sociale.

Ces personnalités si dissemblables connaîtront les guerres napoléoniennes, les conséquences de Waterloo, où George Osborne trouvera la mort, et mille et une autres aventures toutes plus drôles et dramatiques les unes que les autres.

C'est écrit dans une langue simple, avec un humour qui fait mouche ; ce livre contient l'une des demandes en mariages les plus drôles que j'ai jamais lues. C'est très austenien, en plus satirique ; la société ainsi dépeinte est bien égratignée ; les sentiments ne sont pas absents, puisque Amélia est aimée en secret par le major Dobbin ; quant à Becky Sharp, elle est courtisée par tous les hommes qui se trouvent dans son sillage.

Un roman drôle, instructif et émouvant.

A noter, l'adaptation BBC de 1998, dont voici un extrait (Becky s'efforce de s'intégrer à la bonne société, mais lors de la première réception d'importance à laquelle elle est invitée, les autres femmes se refusent d'abord à lui adresser la parole, au motif qu'elle est une arriviste) :

... et le film de Mira Nair en 2004 :

mardi 7 septembre 2010

Les Forestiers, de Thomas Hardy.

Lorsque Grace Melbury revient dans le petit hameau boisé de Little Hintock, après ses études, son avenir est depuis longtemps tracé, déterminé par une promesse antérieure faite entre son père et celui de Giles Winterbone, décédé. Grace et Giles sont promis l'un à l'autre, ils se marieront. Mais Grace a grandi. Elle a découvert, hors des frontières de son village, une tout autre vie, d'autres rêves. Portée par l'ambition et ses nouvelles aspirations, elle tombe dans les bras du beau, irrésistible et troublant Dr Edred Fitzpiers. Mais ce chemin n'est-il pas à mille lieues de ses envies sincères, de ses affections profondes ?

De ce que j'ai pu lire ici ou là sur cet auteur, j'en avais l'image de quelqu'un d'absolument sinistre, dont la vocation semblait manifestement de plonger ses lecteurs dans un état de déprime avancé.

Il n'en fut rien !

Ce roman repose sur un triangle amoureux, celui entre Grace Melbury, la fille d'un bûcheron qui a bénéficié d'une bonne éducation ; Giles Winterborne, un forestier au coeur bon mais un peu fruste, et Fitzpiers, un jeune médecin que sa naissance et son éducation rendent plus proche des aspirations de Grace, mais qui en réalité n'est qu'un coureur de jupons.

Le triangle se complique grâce à la présence de trois personnages : Marty South, une jeune paysanne à la très belle chevelure et à l'âme droite ; Mrs Felice Charmond, la châtelaine du pays, encore jeune, veuve, ancienne comédienne, pour qui le flirt est une seconde nature ; et enfin Suke Damson, une paysanne réjouie et volage.

J'ai beaucoup aimé ce roman pour sa description extrêmement réussie des conditions de vie des forestiers de Hintock et de la nature, et pour la subtilité de son analyse psychologique et sociale des personnages.

Thomas Hardy montre dans son roman que les complexes du père de Grace, un bûcheron qui a bien gagné sa vie mais qui n'a reçu aucune éducation, l'ont conduit à faire une "sottise" : envoyer sa fille en pension. Celle-ci en est ressortie plus raffinée, et diverses circonstances vont faire que Grace et son père finiront par ne plus voir en Giles Winterborne un prétendant à leur goût. Cela conduira la jeune fille, pourtant droite et sincère, à faire un mauvais mariage, puisque le jeune médecin qu'elle épouse la méprise pour ses origines.

Beaucoup de réalisme dans ce livre fort bien écrit, qui comporte plusieurs passages saisissants, en particulier :

- le début, lorsque Marty South, découvrant que Giles n'est pas amoureux d'elle, mais de Grace, décide de couper sa chevelure pour la vendre au coiffeur de la bourgade d'à côté, que la châtelaine a chargé de réaliser une perruque pour elle ;

- la mort du père de Marty South ;

- la rencontre de Grace avec le jeune médecin ;

- le passage sur la Saint-Jean ;

- le passage où Grace, jeune mariée, observe Giles Winterborne en train de fabriquer du cidre ;

- le moment où Grace comprend que son mari la trompe mais n'arrive pas à éprouver le moindre sentiment de jalousie ;

et tant d'autres.

A cela s'ajoute une touche de romantisme, en particulier vers la fin (qui n'est pas un chef d'oeuvre de vraisemblance, puisque Giles Winterborne se laisse mourir pour préserver l'honneur de sa bien aimée, et Grace ne s'en rend compte que trop tard).

La question de l'élevation sociale et le rôle de l'éducation, opposée à la nature, ainsi que le poids de la société et du mariage sur les aspirations des individus sont les principaux thèmes de réflexion de ce roman.

Les personnages qui m'ont le plus touchée sont les plus purs, Giles et Marty, et, dans une moindre mesure mais presque autant, Grace et son père. Ceci dit, même les personnages plus raffinés et plus lâches gardent un caractère sympathique aux yeux du lecteur, car Thomas Hardy leur confère à tous une part d'humanité.

L'humour n'est d'ailleurs pas absent, en particulier lorsque Marty écrit une lettre pour révéler au jeune médecin que les cheveux de sa maîtresse sont en réalité les siens, donc une postiche, pensant ainsi l'en dégoûter et le faire revenir vers sa femme - geste purement désintéressé, car Marty, amoureuse de Giles, aurait les meilleures raisons du monde pour ne pas aimer Grace.

Un beau roman.

Signalons pour finir l'existence d'une adaptation cinématographique datant de 1997, avec Emily Woof et Rufus Sewell

dimanche 29 août 2010

Le Faucon Maltais, de John Huston (1941).


Le détective privé Sam Spade et son associé Miles Archer sont contactés par Brigid O'Shaughnessy pour réaliser une filature sur un homme, Floyd Thursby, qui est supposé avoir fui avec sa jeune sœur. L'accord est conclu ; mais cette nuit là, Spade reçoit un coup de fil de sa secrétaire, Effie, qui lui apprend qu'Archer a été tué en filant Thursby. Peu après, au milieu de la nuit, deux officiers de police rendent visite à Spade pour l'interroger sur son emploi du temps des dernières heures. Spade est sur la défensive et les questionne sur l'objet réel de leur visite. Les officiers l'informent qu'Archer a été tué quelques heures auparavant ainsi que Thursby et que Spade est suspecté...


Difficile de dire en quoi réside le charme du Faucon Maltais, considéré comme l'archétype du film noir, un genre qui doit beaucoup aux auteurs de polars américains des années 1940, Raymond Chandler ou encore Dashiell Hammet (c'est d'ailleurs un roman de ce dernier qui servit de support scénaristique au film).


Le Faucon Maltais met en scène Humphrey Bogart dans son premier grand rôle, celui de Sam Spade, détective privé, l'acteur ayant jusqu'alors été confiné aux rôles de seconds couteaux et de petites frappes. Il impose sa dégaine et son style à ce nouveau type de héros (ou d'antihéros), cynique, lucide, violent et désespéré.


Sam Spade ne tarde pas à découvrir que le "responsable" de cette série de meurtres est un objet qui suscite bien des convoitises : le faucon maltais, un oiseau en or recouvert d'émail noir datant de l'époque des Croisades, qu'un certain nombre d'individus louches voudraient bien s'approprier, et ce à n'importe quel prix.




C'est l'occasion pour John Huston de donner vie à toute une galerie de personnages monstrueux : Mary Astor en menteuse pathologique, Peter Lorre -impressionnant - en bandit efféminé, Elisha Cook Jr en porte-flingue inquiet et maladroit, Sidney Greenstreet -souverain - en obèse perfide sont tous impeccables.


Aux surprises que réserve un scénario alambiqué, Le Faucon Maltais ajoute des cadrages soignés qui doivent beaucoup à l'expressionnisme allemand - par exemple, le reflet sur le sol de l'inscription qui figure sur la porte vitrée du détective privé, ou encore les visages filmés en gros plan en caméra subjective lorsque le personnage incarné par Elisha Cook Jr se réveille à la fin du film.


Sans compter tous les ingrédients qui deviendront la marque du film noir : atmosphère urbaine et étouffante, héros détective désabusé, seul garant de la morale et du bien dans un monde dominé par le mal, la corruption et la violence, et profonde méfiance vis-à-vis des femmes : Mary Astor (très éloignée du charme canaille qu'aura plus tard Lauren Bacall) a beau avoir les caractéristiques de la petite fille bien sage, elle n'en demeure pas moins une femme fatale et avide, qui cause la perte des hommes qu'elle croise sur son passage.




La fin du film confronte d'ailleurs les personnages à leurs aspirations, et oblige le héros à choisir entre ses valeurs morales et l'objet de son affection, acquérant par là une dimension presque métaphysique qui transcende le genre convenu auquel il aurait pu se contenter d'appartenir.

lundi 16 août 2010

La Route des Indes, d'E.M. Forster.

Au cours des années 1920, dans la ville de Chandrapore, aux Indes, les fonctionnaires britanniques vivent selon des préjugés qui les tiennent isolés des indigènes. Deux Anglaises, Miss Adela Quested et Mrs Moore, sa future belle-mère, vont remettre en cause cet équilibre colonialiste en prétendant découvrir "l'Inde vraie". Elles se lient d'amitié avec un médecin musulman, le docteur Aziz. Au cours d'une expédition dans les grottes de Marabar, la plus jeune d'entre elles accuse Aziz d'une tentative de viol. Aziz est arrêté. S'ensuit un procès qui dépasse bientôt le simple cadre du fait divers et qui oppose les colons britanniques aux colonisés, soutenus par Mr Fielding, le principal du collège de Chandrapore, un Anglais aux vues un peu plus large que la moyenne. Les faits lui donnent raison, puisque revenant sur ses déclarations, Miss Quested l'innocente. Mais le mal est fait : l'amitié qui aurait pu se créer entre Anglais et Indiens est définitivement mise à mal.

Les premières pages de ce livre donnent tout de suite le ton : Chandrapore est une ville laide, qui n'a rien d'exotique. Miss Quested est une jeune fille elle aussi laide, qui n'a pas grand chose de romanesque. Son fiancé est quelqu'un d'assez plat, à qui sa fonction en Inde n'a pas franchement ouvert l'esprit, à l'image des colons anglais qui y vivent. Et même si Mrs Moore, par son expérience et sa sagesse, Mr Fielding, par son ouverture d'esprit, et Aziz, par sa spontanéité initiale, suscitent un tant soit peu la sympathie, l'esprit du lecteur n'a pas matière à l'exagérer, si bien qu'à mainte reprise, alors que je lisais la première partie du roman, je me suis vraiment demandée si j'avais envie de continuer à passer mon temps en leur compagnie.

Tout change une fois que le drame survient : l'intérêt du lecteur s'éveille, car l'incident met en lumière l'esprit de corps des Anglais. La plupart d'entre eux se soucient fort peu de savoir si Aziz est coupable ou innocent : c'est un indigène, donc dans leur esprit un être inférieur qui vient confirmer toutes leurs théories racistes, qui font du peuple indien une race inférieure. Bien qu'Adela, dans son souci de découvrir "l'Inde véritable", ne soit jamais vraiment apparu très sympathique à ses compatriotes impérialistes, ils vont tous faire corps derrière elle. De leur côté, les Indiens vont faire front derrière Aziz, devenu bien malgré lui le représentant de l'Inde indépendantiste.

La résolution du procès entraînera le basculement de plusieurs destinées, celle d'Adela, celle de Mr Fielding, mais aussi celle d'Aziz.

Nul manichéisme chez E. M. Forster qui se rendit à plusieurs reprises en Inde, et qui dépeint les Indiens et les colons tels qu'il lui sont apparus : Aziz et ses amis ont quantité de côtés agacants, et même les colons les plus obtus présentent une part d'humanité. Par ailleurs, l'auteur analyse à merveille la relation entre les colonisés et les colonisateurs, ainsi que les divisions propres à cette société partagée entre Musulmans et Hindous, entre hommes et femmes, entre castes respectables et castes jugées moins respectables.

On retrouve des thèmes chers à l'auteur, qui font sa spécificité - en particulier, un grand rôle accordé à la Providence, qui prend d'abord les traits d'un fantôme venu heurter une voiture, puis ceux de Mrs Moore une fois celle-ci décédée, moyen pour l'auteur de montrer que le hasard a sa partition à jouer dans nos vies. A la finesse d'analyse de l'auteur s'ajoute un style à la fois sobre et subtil, qui contraste agréablement avec certaines de ses productions antérieures, parfois un peu maniérées. Un roman prémonitoire (La Route des Indes fut publié en 1924) qui accuse la rigidité de l'administration britannique aux Indes, et qui permet de comprendre quantité d'événements survenus dans ce pays dans la seconde moitié du XXème siècle.

dimanche 8 août 2010

Inception, de Christopher Nolan.


J'ai vu Inception il y a quelques semaines (en VF), et j'avoue avoir été passablement bluffée par ce film.

Habituellement, les blockbusters américains ne m'attirent pas spécialement - c'est même plutôt le genre de film que je fuis - mais Inception me tentait depuis qu'Emjy avait posté deux trois infos dessus sur Whoopsy Daisy.

Et je n'ai pas été déçue.




Le scénario d'Inception est extrêmement complexe, et ce dès l'ouverture, puisque le spectateur met du temps à comprendre que les premières images du film relèvent d'une succession de rêves emboîtés.

Ce qui m'a plu dans ce film, c'est la représentation de l'imaginaire humain de manière spatiale, avec une grande importance accordée aux décors urbains, et le rôle de l'ascenseur à l'intérieur de cette structure.

Inception réécrit le mythe de Thésée en proposant une nouvelle version du labyrinthe antique que le personnage de Cobb, incarné par Leonardo di Caprio, ne pourra affronter qu'avec une nouvelle Ariane, la jeune étudiante jouée par Ellen Page.

Le réalisateur s'est également intéressé de près à ce que Freud a pu dire sur le rêve, et cela a joué un rôle dans l'écriture du scénario - moins tout de même que dans La maison du Docteur Edwardes (Spellbound) de Hitchcock, qui s'appuie quant à lui sur certaines peintures de Dali pour explorer l'inconscient des personnages.


La musique m'a également beaucoup plu, en particulier lorsque le compositeur, Hans Zimmer, réutilise un morceau d'Edith Piaf pour permettre le réveil des personnages : "Non, rien de rien..." : il fallait oser !


Les comédiens, d'une manière générale, sont excellents : Léonardo di Caprio en tête, mais ses acolytes également. L'esthétique du film se veut assez internationale, étant donné les lieux qui ont été choisis pour le tournage.


La façon dont le film fonctionne m'a rappellé les films dont le sujet est un hold up, puisque comme dans ce type de film très codifié, les personnages d'Inception montent un casse pour s'introduire dans la tête de quelqu'un (mais au lieu de lui voler quoi que ce soit, ils veulent introduire dans la cervelle de ce personnage une idée).


Inception est par ailleurs un film qui se nourrit de références discrètes à des films antérieurs - je pense en particulier à la scène où Léonardo di Caprio échoue sur la plage au début du film, image d'ailleurs reprise à la fin (je n'ai pas réussi à identifier l'origine de cette image, mais je suis à peu près persuadée qu'elle fait référence à un autre film - Tant qu'il y aura des hommes, peut-être ?)

On pense également à Hitchcock dans la manière qu'a Christopher Nolan de filmer tous ces complexes urbains aux lignes horizontales et verticales extrêmement symétriques, mais aussi, pour les scènes d'action, aux films mettant en scène James Bond, dont le réalisateur dit effectivement s'être inspiré.

Aux dires du réalisateur et des acteurs, la thématique du film (le rêve) et sa fin extrêmement ambiguë (réalité ou fiction ?) font d'Inception un film sur le cinéma, vu comme "un rêve partagé". Et effectivement, si l'on réfléchit bien, c'est toute l'équipe qui sert à réaliser un film qui est métaphoriquement désignée par chacun des protagonistes de cette histoire.

En somme, Inception se révèle être un film d'action et un blockbuster extrêmement intéressant grâce au talent du réalisateur, lui-même à l'origine du scénario, et des comédiens, les effets spéciaux étant exclusivement au service du scénario, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Ses thématiques et son traitement original en font un film d'auteur tout à fait fascinant et singulier, puisque le réalisateur parvient à mettre en images des notions extrêmement difficiles à représenter (le rêve, l'inconscient, le subconscient, les idées), et qu'il se sert de codes cinématographiques apparemment complètement étrangers à ces notions pour les représenter de manière extrêmement convaincante (film de hold-up, d'action, etc).

Quelques bémols quand même : certains scènes m'ont parues un peu longues, en particulier lorsque le film retrouvait son côté "film d'action", avec beaucoup de fusillades assourdissantes. Même chose avec les scènes qui se déroulent dans des montagnes enneigées, avec des gens revêtus de combinaison d'un blanc éblouissant, ce qui, à la longue, est très fatigant à regarder. Je me suis également demandé si le scénario, un rien trop complexe par moment, n'aurait pas gagné à être un peu simplifié, et si le rôle de Marion Cotillard, qui s'en sort plutôt bien, n'aurait pas pu être un peu plus consistant et étoffé, car même s'il ne s'agit au final que d'une projection d'un des personnages, elle manque singulièrement de profondeur.