mardi 8 mars 2011

Chaînes conjugales, de Joseph Mankiewicz (1949).

Mankiewicz et moi, le début d'une grande histoire d'amour ? Je ne sais pas, mais j'ai vu ce film en décembre, et j'ai beaucoup aimé cette comédie douce-amère.

Le scénario est en effet un modèle d'intelligence : trois amies partent pour un pique-nique, lorsque leur parvient une lettre d'Addie Ross, qui leur annonce qu'elle s'est enfuie avec le mari de l'une d'entre elle... mais lequel ?

S'ensuivent alors trois flash back, au cours desquelles chacune des trois femmes se remémore sa vie conjugale, au cours de laquelle Addie Ross a joué un certain rôle.


Personnellement, j'ai trouvé que ces flash back n'étaient pas toujours amenés très habilement, mais j'ai apprécié que ce soit Addie Ross, dont on ne saura jamais à quoi elle ressemble tout au long du film, qui raconte l'histoire (la voix off est celle de Céleste Holm, la meilleure amie de Bette Davis dans All about Eve de Mankiewicz).

Premier flash-back, celui de Deborah (Jeanne Crain), la plus jeune, une fille issue de la campagne qui a travaillé pour l'armée et qui épouse un homme jeune, beau, riche et distingué, Brad. La soirée qu'il donne en l'honneur de sa jeune épouse pour la présenter à ses amis tourne à la catastrophe, tant la jeune épouse manque de confiance en elle ; elle a conscience que sa robe est affreuse, et elle a beaucoup trop bu pour calmer son anxiété. A côté d'elle, Addie Ross n'a aucun mal à incarner le summum de la classe... cette soirée tragi-comique sera cependant l'occasion pour Deborah de sympathiser avec Rita, qui se montre très solidaire vis-à-vis de sa nouvelle amie.

Deuxième flash-back, précisément celui de la blonde Rita (Ann Sothern), une épouse très moderne, puisqu'elle travaille pour la radio et gagne plus que son mari George, enseignant. Elle invite sa patronne dans le but d'obtenir un poste avantageux pour son mari, et là encore, la soirée tourne au drame : Rita a complètement oublié que c'était l'anniversaire de son mari (contrairement à Addie Ross qui lui offre un disque de Chopin ou de Schubert, je ne sais plus), la bonne - excellente Thelma Ritter - se comporte de manière tout à fait impossible -, et la patronne de Rita, venue accompagnée de son mari, est absolument imbuvable. Le tout donne lieu à une scène très réjouissante au cours de laquelle la mari de Rita, George (étonnant Stanley Kubrick) défend ses idéaux : bien qu'intellectuel et mal payé, il croit en l'éducation, et dresse une critique ironique et féroce de la radio, qui, sous prétexte d'éduquer les masses, les asservit à la société de consommation.

Dernier flash-back, celui de Laura Mae (merveilleuse Laura Darnell), une femme extrêmement belle et intelligente, mais issue d'un milieu très modeste, qui se rappelle comment elle a réussi à mettre le grappin sur son patron, Porter Hollingsway (Paul Douglas, parfait), un homme plus âgé qu'elle, plutôt rustre, mais qui a réussi à implanter une chaîne de magasins dans tout le pays. Avec beaucoup d'intelligence et de cynisme, Laura Mae allume son patron, tout en lui faisant clairement comprendre qu'il n'obtiendra aucune faveur, sauf s'il l'épouse. Mais l'on découvrira que tous deux sont en fait très amoureux l'un de l'autre, et souffrent d'une relation où le sentiment ne peut jamais s'exprimer.

Je ne raconterais pas la fin, mais j'ai beaucoup aimé l'histoire de ces trois femmes, particulièrement celle d'Ann Sothern et plus encore celle de Linda Darnell. Plus on avance dans le film, plus il augmente en intensité dramatique ; l'humour est très présent, et il y a beaucoup de finesse psychologique. L'étude de moeurs est particulièrement bien vue, ces trois femmes peinant à savoir qui elles sont et à trouver le bonheur dans une société où comptent avant tout le paraître et l'argent. Le film remporta l'oscar du meilleur scénario et celui de la mise en scène ; bien qu'il date de 1949, ces portraits de femmes ont conservé quelque chose de très actuel, de même que la critique de l'american way of life.


vendredi 4 mars 2011

Angel, d'Elizabeth Taylor (1957).

J'ai lu ce livre en février, et j'ai vraiment été très enthousiasmée par cette lecture.



Angel raconte l'histoire d'une jeune fille, qui, comme Emma Bovary, se nourrit de rêves et d'illusions dont le symbole est Paradise House, le domaine des riches aristocrates de sa région. Originaire d'un milieu modeste, rebelle, volontaire et mal élevée, contre toute attente, elle parviendra à vivre de sa plume en vendant des livres où son imagination exubérante met en scène des héroïnes à son image et des messieurs "forts comme des lions et qui pleurent comme des urnes", le tout dans des décors où le kitsch le dispute au ridicule. Incapable de voir le réel tel qu'il est, arrogante, prétentieuse, mais aussi solitaire et pathétique, elle connaîtra le succès, gagnera beaucoup d'argent et tombera amoureuse d'un peintre aristocrate, avant de connaître la déchéance.



Elizabeth Taylor se serait inspirée d'un écrivain adulé à l'époque de la reine Victoria, Marie Corelli, pour peindre cette héroïne capricieuse et insupportable ; grâce à sa plume fine, ironique et cruelle, elle parvient à nous la rendre terriblement émouvante, ce qui n'est pas un mince tour de force. A lire ce livre, on comprend que François Ozon s'y soit intéressé (la manière dont sont décrites les tenues de l'héroïne ne pouvait laisser indifférent un cinéaste de la couleur). Angel - qui aurait pu aussi s'appeler "Paradise House" est un livre que je recommande chaleureusement ; c'est un livre qui ne peut laisser indifférent. A signaler, la très belle préface de Diane Margerie, dont l'analyse est toujours aussi fine.