vendredi 17 juillet 2009

Sans rancune ! (Yves Hanchar)


1955 - Un internat en Belgique. Laurent Matagne, 17 ans, croit discerner sous l'identité de son professeur de français surnommé "Vapeur", son père disparu lors d'un raid aérien pendant la guerre de 1940. Vapeur est excentrique, mystérieux, inquiétant, brillant, et il communique vite à Laurent sa passion pour la littérature, au point de susciter chez lui une vocation d'écrivain. Matagne et son ami Boulette décident de mener l'enquête. Alors qu'ils échafaudent un plan pour confondre Vapeur, Matagne s'attèle à son premier roman.

Il y a plusieurs mois, en évoquant Les Belles Années de Mademoiselle Brodie, je pensais que le livre sur l'influence que peut avoir un professeur charismatique sur ses élèves restait encore à écrire. Le film, lui, est d'ores et déjà réalisé par Yves Hanchar, qui s'est appuyé sur sa propre histoire pour rédiger un scénario original, intrigant et bien écrit sur des thèmes extrêmement forts - parce qu'universels.

La reconstruction d'un pays après la guerre et le rôle de l'éducation dans cette reconstruction.

Le film se déroule en Belgique dans un pensionnat bien particulier, réservé aux enfants de soldats ayant combattu durant le Seconde Guerre mondiale et dirigé par des vétérans (ici, il faut mentionner l'excellent Christian Crahay en directeur d'école bienveillant et humaniste). Le titre du film, Sans rancune !, vient en fait d'une expression employée par les hommes lorsqu'ils se saluaient, et ce afin d'"oublier" les horreurs de la guerre. Le mot d'ordre de l'école est d'ailleurs : "Loyauté et confiance réciproque".

La façon dont "Vapeur" enseigne et se situe par rapport à la guerre ne doit cependant rien à l'angélisme, puisque cette figure de pédagogue ne transmet pas un savoir, mais éduque les intelligences : au sortir de la guerre, à quoi auront servi tous ces morts, si l’on n’a pas retenu la leçon : « savoir dire non » ? "Vapeur" apprend donc à ses élèves à être autonomes. Thierry Lhermitte a d'ailleurs ces mots pour définir sa méthode pédagogique : "[Je l'apprécie], parce que c’est une véritable éducation de la liberté et de la responsabilité. Mais c’est très élitiste. Je vois cela comme un mélange d’avant et après l’école de Jules Ferry. Avant, c’est la tradition des humanités, apprendre à apprendre. Après, c’est la pédagogie inductive post-68, qui refuse les apprentissages, le par-cœur, le bachotage." En ce sens, le film est bien d'actualité, en ce qu'il concilie deux approches qu'il souhaite résolument complémentaires.

L'adolescence, l'amitié et la quête de la vérité.

En regardant ce film, le spectateur n'aura nulle difficulté à s'identifier au personnage de Matagne et aux adolescents présentés dans le film, qui ressemblent à tous les adolescents du monde et d'aujourd'hui. Laurent, après des relations d'abord conflictuelles avec Boulette, le cancre de la classe, nouera par la suite une belle amitié avec lui, et une association étroite pour découvrir la vérité au sujet de ce professeur qui les intrigue : qui est "Vapeur" ? Le père de Laurent ? Ou ne s'agit-il que d'un fantasme développé par les deux adolescents ?

La naissance de la vocation d'un écrivain.

"Vapeur", derrière des dehors fantasques et excentrique, se révèle être un personnage complexe et ambigu, un écrivain raté, qui, à défaut d'avoir réussi à écrire un livre, a entièrement recréé sa vie. Bousculant continuellement Matagne, ce dernier sera cantonné dehors jusqu'à ce qu'il écrive quelque chose d'original et de sincère. Peu à peu, d'abord vexé et humilié, puis encouragé, Matagne, aiguillonné par "Vapeur", véritable figure tutélaire, s'éveillera à l'art d'agencer les mots. On ne sera donc pas surpris de voir Laurent superposer au rapport maître-élève le rapport père-fils.

Le film met ainsi en lumière la noblesse du rôle du professeur, mettant ainsi à mal la citation cruelle de George Bernard Shaw qu'invoque d'ailleurs l'un des personnages du film, et selon laquelle "celui qui peut agit, celui qui ne peut pas enseigne". Yves Hanchar joue en effet sur deux tableaux, la transmission entre le maître et l'élève (comparable à la maïeutique pratiquée par Socrate) et la réconciliation père-fils, donnant ainsi son autre signification au titre du film.

Le film étant d'ailleurs peut-être plus complexe qu'il n'y paraît, car, comme le suggère un critique, ce que nous voyons à l'écran oscille entre vérité et fiction : Vapeur est-il le père de Laurent, ou celui qu'il aurait aimé avoir ? Le jeune Laurent ne se prendrait-il pas lui aussi pour le héros du roman qu'il est en train d'écrire, à l'image de la séquence où il nous est donné de voir la scène imaginée par Laurent dans la première rédaction qui lui vaut des éloges de son professeur ? Car l'enquête se révèle extrêmement troublante, et les indices flous : une photo de mauvaise qualité, un style d'écriture plus ou moins ressemblant... mais tout le charme de l'aventure réside précisément dans cette incertitude entretenue jusqu'au bout.

Certains critiques grincheux n'auront pas manqué de rapprocher ce film du Cercle des poètes disparus, ou encore des Choristes, laissant par là entendre que le film d'Yves Hanchar pêcherait par manque d'originalité et par conservatisme : c'est opérer des rapprochements bien superficiels et passer complètement à côté de ce qui fait la singularité d'un film dont la réalisation, classique, sait s'effacer pour mieux mettre en valeur un récit qui nous touche, parce qu'il sonne juste. Les comédiens y sont pour beaucoup :

Thierry Lhermitte, dont le beau visage vieilli et le regard pétillant transmettent à ce film sa vivacité, son intelligence et sa gaieté, et dont l'élégance, la séduction et le charisme confèrent au film une grande partie de sa force.




Milan Mauger, dont le talent, la vérité de jeu et le naturel sont confondants, et dont le jeune visage suscite l'empathie grâce à la variété subtile des émotions qui y affleurent. La relation qui l'unit à Thierry Lhermitte semble faite de confiance et de respect réciproques.




Benoît Cauden, qui se révèle lui aussi un très bon comédien, de même que tous les acteurs qui composent les personnages secondaires.




Les pe
rsonnages sont riches et sensibles, le scénario très bien écrit, les répliques aussi ; l'intrigue est bien ficelée, le suspense est maintenu jusqu'au bout ; le cinéaste nous livre une histoire presque merveilleuse, un conte dans lequel un enfant solitaire et turbulent se cherche à travers un père absent. Un film de qualité comme on aimerait en voir un peu plus souvent.


Pour plus d'informations, le dossier de presse :
http://www.victoryproductions.be/DOSSIERSPRESSE/dp_ssrancune.pdf

Et un lien vers allociné :
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=137326.html

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