lundi 16 août 2010

La Route des Indes, d'E.M. Forster.

Au cours des années 1920, dans la ville de Chandrapore, aux Indes, les fonctionnaires britanniques vivent selon des préjugés qui les tiennent isolés des indigènes. Deux Anglaises, Miss Adela Quested et Mrs Moore, sa future belle-mère, vont remettre en cause cet équilibre colonialiste en prétendant découvrir "l'Inde vraie". Elles se lient d'amitié avec un médecin musulman, le docteur Aziz. Au cours d'une expédition dans les grottes de Marabar, la plus jeune d'entre elles accuse Aziz d'une tentative de viol. Aziz est arrêté. S'ensuit un procès qui dépasse bientôt le simple cadre du fait divers et qui oppose les colons britanniques aux colonisés, soutenus par Mr Fielding, le principal du collège de Chandrapore, un Anglais aux vues un peu plus large que la moyenne. Les faits lui donnent raison, puisque revenant sur ses déclarations, Miss Quested l'innocente. Mais le mal est fait : l'amitié qui aurait pu se créer entre Anglais et Indiens est définitivement mise à mal.

Les premières pages de ce livre donnent tout de suite le ton : Chandrapore est une ville laide, qui n'a rien d'exotique. Miss Quested est une jeune fille elle aussi laide, qui n'a pas grand chose de romanesque. Son fiancé est quelqu'un d'assez plat, à qui sa fonction en Inde n'a pas franchement ouvert l'esprit, à l'image des colons anglais qui y vivent. Et même si Mrs Moore, par son expérience et sa sagesse, Mr Fielding, par son ouverture d'esprit, et Aziz, par sa spontanéité initiale, suscitent un tant soit peu la sympathie, l'esprit du lecteur n'a pas matière à l'exagérer, si bien qu'à mainte reprise, alors que je lisais la première partie du roman, je me suis vraiment demandée si j'avais envie de continuer à passer mon temps en leur compagnie.

Tout change une fois que le drame survient : l'intérêt du lecteur s'éveille, car l'incident met en lumière l'esprit de corps des Anglais. La plupart d'entre eux se soucient fort peu de savoir si Aziz est coupable ou innocent : c'est un indigène, donc dans leur esprit un être inférieur qui vient confirmer toutes leurs théories racistes, qui font du peuple indien une race inférieure. Bien qu'Adela, dans son souci de découvrir "l'Inde véritable", ne soit jamais vraiment apparu très sympathique à ses compatriotes impérialistes, ils vont tous faire corps derrière elle. De leur côté, les Indiens vont faire front derrière Aziz, devenu bien malgré lui le représentant de l'Inde indépendantiste.

La résolution du procès entraînera le basculement de plusieurs destinées, celle d'Adela, celle de Mr Fielding, mais aussi celle d'Aziz.

Nul manichéisme chez E. M. Forster qui se rendit à plusieurs reprises en Inde, et qui dépeint les Indiens et les colons tels qu'il lui sont apparus : Aziz et ses amis ont quantité de côtés agacants, et même les colons les plus obtus présentent une part d'humanité. Par ailleurs, l'auteur analyse à merveille la relation entre les colonisés et les colonisateurs, ainsi que les divisions propres à cette société partagée entre Musulmans et Hindous, entre hommes et femmes, entre castes respectables et castes jugées moins respectables.

On retrouve des thèmes chers à l'auteur, qui font sa spécificité - en particulier, un grand rôle accordé à la Providence, qui prend d'abord les traits d'un fantôme venu heurter une voiture, puis ceux de Mrs Moore une fois celle-ci décédée, moyen pour l'auteur de montrer que le hasard a sa partition à jouer dans nos vies. A la finesse d'analyse de l'auteur s'ajoute un style à la fois sobre et subtil, qui contraste agréablement avec certaines de ses productions antérieures, parfois un peu maniérées. Un roman prémonitoire (La Route des Indes fut publié en 1924) qui accuse la rigidité de l'administration britannique aux Indes, et qui permet de comprendre quantité d'événements survenus dans ce pays dans la seconde moitié du XXème siècle.

7 commentaires:

  1. Je n'ai pas lu le livre mais David Lean en a réalisé une très belle adaptation en 1984 (c'est d'ailleurs son dernier film), d'après la description que vous faites du livre c'est très fidèle semble t il avec cette Inde colinialiste sur des charbons ardents. J'en parlais un peu là

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2010/06/la-route-des-indes-david-lean-1984.html

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  2. Merci pour le lien ! ;)

    Effectivement, le livre d'E.M. Forster a fait l'objet d'une adaptation que je n'ai encore jamais vue.

    L'oeuvre de cet auteur semble avoir interessé des cinéastes de renom puisque trois autres de ses romans ont été adaptés par James Ivory, qui signe une trilogie esthétiquement très belle avec "Chambre avec vue", "Retour à Howards End" et "Maurice".

    Je ne sais pas si vous connaissez ? A voir de toute urgence si ce n'est pas le cas ! ;)

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  3. Je connais assez mal James Ivory effectivement (juste vu "La Fille d'un soldat ne pleure jamais" et "Le Divorce") mais la trilogie me tente depuis un moment oui !

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  4. Alors laissez-vous tenter, je pense que vous ne le regretterez pas. ;)

    Je ne connais pas les deux films que vous mentionnez (vous les avez trouvés bons, ou pas ?), mais je vous en recommande un autre du même réalisateur (mon préféré, en fait) : "Les Vestiges du Jour", avec Anthony Hopkins et Emma Thompson.

    James Ivory est parfois taxé d'académisme par les jaloux, mais ces quatre films sont vraiment somptueux.

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  5. Les deux que j'ai cité sont ces films les plus récents probablement des coproduction française vu que les deux se déroule se déroule à Paris, "Le Divorce" était assez moyen mais "La Fille d'un soldat..." dégageait un beau parfum de nostalgie. Je vais essayer de me procurer tout ça merci !

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  6. J'ai adoré les différentes adaptations de James Ivory (ainsi que celle de Kazuo Ishiguro, les vestiges), mais je n'ai jamais lu EM Forster, il serait temps que j'y pense !
    Merci pour ce billet qui me le remet en mémoire

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  7. Je te conseille de commencer par "Avec vue sur l'Arno", alors : c'est sans doute son livre le plus léger et le plus drôle. ;)

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